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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 octobre [1841], mercredi soir, 6 h. ¼

Voici une belle journée passée, mon cher petit bonhomme, et sans grand profit pour moi que le pauvre petit bout de matinée morcelée de travail que j’ai passé avec vous [1]. Mais quand donc aurez-vous l’humanité de me faire sortir sans me mesurer les minutes et les aspirations comme vous avez eu l’infamie de me l’offrir tous ces jours-ci ? En vérité, je vous le dis, ma patience et mon courage sonta à bout. Vieux Chinois [2] que vous êtes, vous vous moquez de ça, vous qui m’aimez à votre aise et qui prenez la clef des champs quand les jambes vous en disent. Mais moi, c’estb autre chose, voyez-vous, je suis attachée par les pieds, par la tête et par le cœur à cette affreuse chaîne qu’on appelle l’amour (style figuré), chaîne si courte qu’elle ne me laisse pas la faculté de m’étendre, de respirer ni même d’aimer à mon aise. À votre place, le cœur me saignerait de faire à une pauvre Juju si douce et si MOUTON tout ce que vous lui faites souffrir. Écoutez, scélérat, je vous engage pourtant à y prendre garde si vous ne voulez pas que je crève un de ces beaux jours d’apoplexie et d’amour foudroyant. Je vous engage sérieusement à y prendre garde car je sens des maux de tête et des douleurs de cœur qui ne sont rien moins que rassurants.
Je vous aime assez, monstre d’homme, je t’aime, mon cher adoré, et tout ceci n’est que pour SOURIRE : – SOURIS-MOI. Mais au fond, je te rendsc bien la justice que tu travailles et que tu te dévoues pour tout le monde avec une persévérance et un courage surhumainsd. Mon adoré, quand je pense à cela, moi si inutile, je n’ai plus le courage de me plaindre. Je t’aime, mon Victor bien-aimé, crois-le bien comme si Dieu te le disait et reviens bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 29-30
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « son ».
b) « cette ».
c) « rend ».
d) « surhumain ».

Notes

[1Hugo passe la journée au chevet de sa femme, souffrante. En témoigne sa lettre à Amédée Achard du 13 octobre 1841 : « Je lis, cher monsieur, ou pour mieux dire, je relis votre beau et charmant livre près du lit de ma femme bien malade ; dès qu’elle ira un peu mieux et que je cesserai d’être infirmier, je me mettrai absolument à votre disposition, et je m’adresserai directement pour ce qui vous concerne au ministre de l’Intérieur, car je ne me crois pas grand crédit auprès de M. Cavé […] » (Œuvres complètes de Victor Hugo, Correspondance, Tome IV (année 1874-1885, addendum), Paris, Imprimerie Nationale, Albin Michel, Ollendorff, 1947-1952, p. 180).

[2Juliette appelle fréquemment Hugo ainsi parce qu’il éprouve un intérêt tout particulier pour la Chine. Il en fait mention dans ses œuvres et collectionne aussi chez lui de nombreux objets.

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