23 août 1879

Paris, 23 août [18]79, samedi matin, 6 h.

Cher bien-aimé, je t’envoie mon bonjour matinal bien que je te croie encore endormi ; mais si discrètement que cela ne pourra ni t’éveiller ni troubler ton rêve. J’espère que tu as passé une bonne nuit, ce qui ajoute beaucoup à la médiocrité de la mienne qui cependant a été meilleure que l’autre. J’ai trouvé parmi les journaux du soir la carte, cornée, de Monselet. Je me suis informée comment et depuis quand elle était arrivée, alors j’ai su que cinq minutes après notre départ pour notre promenade un monsieur qu’on ne connaissait pas était venu en voiture pour te voir et que, ne te trouvant pas, il avait laissé sa carte qu’on avait oublié de te remettre, voilà toute l’histoire. Je pense que tu es encore à temps pour l’inviter à dîner d’ici à mardi si tu le trouves^a bon. Dans tous les cas, tu feras bien de n’en pas parler à Lesclide, que j’ai quelque raison de croire en disgrâce dans l’esprit de Monselet sans qu’il s’en doute, lui, Lesclide, car chaque fois qu’il a pu croire que Monselet pourrait^b dîner à la maison il s’invite de lui-même au déplaisir évident de Monselet. Voilà bien des Monselet et bien des Lesclide pour rien ; heureusement que mon rabâchage ne te trouble pas. Il n’en est pas de même pour moi qui me suis donné la tâche difficile et dangereuse de dévisser toutes tes anciennes [obuses  ?] à mes risques et périls, car loin de m’en savoir gré, tu en ressens, au contraire, un si vif mécontentement qui va jusqu’à l’antipathie évidente quoique la plus poliment contenue. C’est un malheur de ton cœur et du mien. Le remède à ce mal incurable, je n’ose pas le tenter et pourtant si cela devait te rendre heureux tu me serais peut-être reconnaissant.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16400, f. 208
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette

a) « trouve ».
b) « pourait ».