Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1841 > Mai > 20

20 mai 1841

20 mai [1841], jeudi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour, mon cher petit bien-aimé. Je viens d’envoyer à l’instant même Suzanne payer Mlle Paquementa afin que l’argent ne s’en aille pas par un autre côté [1]. Je voudrais que Jourdain envoyât aussi aujourd’hui afin de n’avoir plus à penser à tout ce monde-là [2].
Vous êtes donc décidément le plus heureux des Picardet [3] ? Tant mieux, j’en suis bien aise. ON AIME À VOIR HEUREUX CEUX QU’ON AIMEb, parole de Laurence Charlotte Krafft, style Monsieur Eugène Sue. Maintenant il vous reste à me présenter à la Picardette [4] afin que je juge en connaissance de cause de l’étendue de votre bonheur et de l’immensité de votre bonne fortune, ia, ia monsire Bigartet.
À propos je suis joliment bête de vous avoir dit mon piège, une autre fois j’aurai plus de patience et la langue moins longue et je vous prendrai dans quelque effroyable traquenard [5].
Comment trouvez-vous mon illustration d’hier [6] ? Un peu ficeléec n’est-ce pas ? Je vous en ferai comme ça à tire-larigotd et je vous aime de toute mon âme par-dessus le marché.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 167-168
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « Pacquement ».
b) « AIMENT ».
c) « ficellée ».
d) « tirelarigo ».


20 mai [1841], jeudi soir, 9 h. ½

Je viens de dîner, mon cher bien-aimé, après avoir travaillé jusqu’à la nuit et même après la nuit, attendu que Suzanne m’a tenu une bougie allumée pendant plus d’un quart d’heure pour finir mon dernier rideau [7].
Je voudrais bien, mon amour, que tu viennes cette nuit m’apporter mon bouquet de fête en NATURE [8], cela ne te dérangerait pas beaucoup et cela me porterait bonheur pour tout le reste de l’année. Tâche de venir, mon Toto chéri, tu me combleras de joie.
Je n’ai pas regardé ce que vous avez déposé dans mon buvard, je n’ose même pas faire de conjecture dessus mais je serais bien agréablement ATTRAPÉEa si ces deux feuilles de papier manuscrites étaient pour moi [9]. Hélas ! peu probable, aussi je ne m’arrête pas à cette idée-là pour ne pas me faire un immense chagrin demain. Jour Toto, jour mon petit o, jour mon petit Picardet. À propos de Picardet, où en êtes-vous tous les deux aujourd’hui vis-à-vis l’un l’autre ? J’allais dire l’un SUR l’autre. Ia ia, DRÈS INTÉSCENTb, je me suis arrêtée à temps. Je vous aime vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 169-170
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ATTRAPPÉE  ».
b) « INTÉSENT ».

Notes

[1Début avril, Juliette a fait faire un chapeau pour Claire et en a demandé un autre pour elle début mai, afin de remplacer son ancien de velours. Malheureusement la modiste lui a répondu « qu’il était impossible de se procurer un chapeau de paille d’Italie commun teint en noir avant l’automne prochain et que [s]on vieux n’était plus décemment arrangeable ». C’est ainsi que, début mai, Juliette lui a repassé commande et elle recevra le nouveau chapeau le 19 mai, s’inquiétant néanmoins de ne pas être en mesure de le payer. Finalement, elle le renverra le 30 mai pour faire rajouter des brides.

[2Il s’agit de la foule de créanciers qui défilent tous les mois chez Juliette.

[3Juliette s’inspire sans doute de Voltaire qui, dans ses lettres de septembre 1761 à son ami M. le Comte d’Argental, mentionne un académicien typique de Dijon qui porte ce nom (deux frères en réalité) qu’il tourne en ridicule en l’empruntant (avant de le transformer en Picardin) pour signer l’une de ses comédies, L’Écueil du sage, ou Le droit du seigneur. Remerciements à Jean-Marc Hovasse qui a identifié pour nous cette référence.

[4Juliette désigne peut-être l’Académie.

[5À élucider. Néanmoins, Juliette fait peut-être référence à ce qu’elle a écrit le 17 mai à midi : « Vous êtes laid MAIS grâcieux, ia ia monsire matame, il est MON sarme. […] Ia, ia monsire, baisez-moi Picardet, baisez-moi M. URSULE. Vous êtes laid mais grâcieux et séduisant. Ia, ia, ia, ia, ia, ia, baisez-moi, je suis très contente d’avoir enfin trouvé votre talon d’Achille. Quel bonheur !!! Vous êtes laid mais grâcieux, vous êtes atroce mais séduisant, vous êtes un monstre mais je vous adore ».

[6Juliette aime agrémenter ses restitus de petits dessins, mais celui dont il est question ici n’a pas été fait sur ses lettres de la veille conservées à la BnF.

[7Cela fait quelques jours que Juliette a décidé de changer tous les rideaux de sa chambre et de sa salle à manger.

[8Le lendemain sera la Sainte-Julie et le nom de baptême de Juliette Drouet est Julienne Gauvain.

[9Le lendemain matin, Juliette fournira davantage d’explications sur ces deux feuilles : une lettre et un manuscrit, sans préciser le contenu de ce dernier. Quant à la lettre, datée du 21 mai à 3 h. du matin, la voici : « Je te quitte. Je t’écris, et je vais retourner près de toi. Mon ange, ma bien-aimée, mon amour, ma Juliette toujours adorable et toujours adorée, tu fais ma destinée et tu es ma vie. Je suis à toi comme homme et comme âme. / C’est ta fête aujourd’hui, et ce sera la mienne, car avant une heure d’ici, je serai dans tes bras. Dors en attendant, mon amour ! Tu es un être ravissant, tous les jours plus belle, tous les jours plus tendre, tous les jours plus douce, tous les jours plus aimée ! / Je t’aime. C’est bien vrai. Je t’aime dans les racines les plus profondes du cœur. Tout ce qui fleurit à la surface de mon esprit, tout ce qui semble aux autres encens et parfum, sort de ton amour. / Juliette, ce nom charmant germe en moi et s’épanouit au dehors en poésie. Tu n’es pas seulement mon cœur, tu es toute ma pensée. / À tout à l’heure, ange. Je ferme cette lettre pour t’ouvrir mes bras » (Lettres de Victor Hugo à Juliette Drouet 1833- 1882, texte établi et présenté par Jean Gaudon, ouvrage cité, page 64).

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne