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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mai 1841

16 mai [1841], dimanche soir, 11 h. ½ [1]

Je n’avais pas pu t’écrire tantôt, mon bien-aimé, parce que je n’ai eu que le temps bien juste de me débarbouiller et de m’habiller avant l’arrivée de ces dames [2]. Depuis qu’elles sont parties je me suis déshabillée et FLUCTIONNÉE [3] et puis ma pendule avance d’une demi-heure [4].
J’espère et je désire, mon Toto, que tu ne me laissesa pas achever cette grande lettre, mon amour, que j’ai commencéeb à l’envers comme une grande bête que je suis. J’aime mieux te voir que t’écrire, te baiser que de gribouiller du noir sur du blanc et te caresser que de mettre des stupidités les unes au bout des autres. Voilà mon opinion et mon goût, PICARDET [5]. Avec ça que vous en êtes bien affamé, comme les chiens de coups de triques, de mes griffonnages ; vous faites bonne mine à mauvais jeu [6] mais dès que vous trouvez le plus léger prétexte, la plus petite raison de ne pas les lire, vous lesc saisissezd avec enthousiasme. Bigartet, et si vous étiez franc vous en conviendriez.
Je ne sais pas pourquoi je me figure que votre monde est à la campagne et que c’est pour ça que vous ne revenez plus dans la journée une fois que vous êtes parti [7]. J’irai demain m’en informer moi-même, je ne vous prends pas en traître. Je veux savoir tout ce qui se passe chez vous comme vous avez le droit de savoir tout ce qui [se] fait, see dit et se pense chez moi. Donnant donnant, voilà ma devise.
Je t’aime, m’aimes-tu ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 153-154
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « laisse ».
b) « commencé ».
c) « le ».
d) « saississez ».
e) « ce ».

Notes

[1Cette lettre est écrite à l’envers et se lit de la dernière page à la première.

[2En général, le dimanche soir, quelques amies de Juliette Drouet viennent dîner chez elle. Il s’agit surtout de Mme Triger, de Mme Guérard, de Mme Besancenot et de Mme Pierceau.

[3Juliette souffre souvent de maux de ventre ou de tête violents et vient donc de commencer un traitement, prescrit par le docteur Triger, qui va durer plusieurs mois. Elle précise ses recommandations le 21 avril.

[4C’est visiblement un choix de Juliette Drouet (même si d’ordinaire il s’agit plutôt d’une heure), puisqu’elle le rappelle à de nombreuses reprises, et ce depuis plusieurs années (voir les lettres du 21 décembre 1840, du 21 et 22 janvier ou du 22 et 27 mars 1841).

[5Juliette s’inspire sans doute de Voltaire qui, dans ses lettres de septembre 1761 à son ami M. Le comte d’Argental, mentionne un académicien typique de Dijon qui porte ce nom (deux frères en réalité) qu’il tourne en ridicule en l’empruntant (avant de le transformer en Picardin) pour signer l’une de ses comédies, L’Écueil du sage, ou Le droit du seigneur. Remerciements à Jean-Marc Hovasse qui a identifié pour nous cette référence.

[6Dissimuler adroitement son mécontentement, sa tristesse ou son mauvais état.

[7De mi-juin à mi-octobre, les Hugo loueront à Saint-Prix, dans le Val-d’Oise, un appartement meublé, et le poète y restera dès juillet pour terminer la rédaction de ses mémoires de voyage pour les volumes du Rhin.

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