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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 mars 1841

8 mars [1841], lundi après-midi, 1 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher adoré. Comment va ton rhume, mon chéri ? Comment va toute ton adorée petite personne ? Tu étais bien accablé hier, mon chéri, j’espère qu’un peu de repos cette nuit t’aura calmé. Je l’espère, mon Toto, et je le désire de toute mon âme.
J’ai reçu une lettre tout à l’heure de la femme qui soigne mon père. Mon impatience ne m’a pas permis d’attendre ton retour pour l’ouvrir, pensant bien que tu ne t’en fâcheras pas. Mon pauvre père va de pire en pire, la goutte remonte vers l’estomac de jour en jour, la fièvre ne le quitte plus et les nuits sont très mauvaises. Ce pauvre bon et excellent homme parle de moi souvent et désirerait me voir. Il faudra, mon cher bien-aimé, que tu prennes sur toi de m’y conduire cette semaine un tout petit moment ; c’est un devoir pour toi et pour moi car si j’étais libre j’y serais allée tous les jours. Du reste, la femme qui m’écrit me prévient que c’est à l’insua de mon père, cela se conçoit à cause des détails tristes de sa maladie. Tu vois, mon cher adoré, que je n’ai aucune raison pour être bien gaie et qu’il ne me faudra rien moins que ta vue et ta tendresse pour me redonner un peu de courage et de résignation [1].
Prends bien soin de toi, mon adoré, prends garde à tes bottes percées et songe que je ne te vois pas assez. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 221-222
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « insçu ».


8 mars [1841], lundi soir, 6 h. ¾

Voilà une somme d’argent bien péniblement gagnéea, pauvre bien-aimé, si j’en juge pas les longues nuits d’absence, par tes pauvres beaux yeux fatigués. Malheureusement, cet affreux argent est toujours dépensé à l’avance, ce qui fait que tu n’as ni trêve ni repos.
J’ai oublié de te compter tantôt, parmi l’argent dépensé, 9 F. de charbon de ce matin. Tu vois, mon pauvre bien-aimé, que, les créanciers [2] mis à part, nous n’en aurons pas beaucoup de reste.
J’ai fait mettre la lettre d’Harel à la poste, il a fallu l’affranchir jusqu’à la frontière. Cela a coûté 16 sous. J’espère qu’ils ne seront pas perdus et qu’il aura le bon esprit de faire suivre la lettre dans tous les cas où il passerait la station avant son arrivée. Je serais horriblement vexée d’apprendre que ta lettre soit perdue et mes 16 sous aussi, l’un portant l’autre. Non, mais sans compliment, il serait malheureux que ce hideux Harel ne profitâtb pas de la bonne lettre que tu t’es donné la peine de lui écrire cette nuit [3].
Je voudrais bien, mon amour, que tu me fassesc sortir ce soir. Cela m’a fait si grand bien et si grande joie, la petite promenade d’hier, que je donnerais tout au monde pour la recommencer aujourd’hui. Je t’aime, mon cher bien-aimé Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 223-224
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « gagné ».
b) « profita ».
c) « fasse ».

Notes

[1L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides, très malade, mais sa compagne, dame Godefroy, lui donne des soins et envoie régulièrement par lettre de ses nouvelles à Juliette. Elle lui a d’ailleurs envoyé le 5 février « une permission de le voir tous les jours de midi à trois heures ». À partir de ce moment-là, Juliette s’y rend parfois le jeudi, accompagnée de Victor Hugo.

[2Tous les dix du mois environ, des créanciers comme le tapissier Jourdain, Lafabrèque ou l’homme de Gérard viennent récupérer les sommes qu’on leur doit.

[3À élucider. Dans sa lettre du 6 mars, Juliette mentionne cette histoire avec Harel, qui a écrit à Hugo, pour inciter le poète à répondre. Il est probable que l’homme, à ce moment dans une situation des plus précaires suite à son dépôt de bilan à la Porte-Saint-Martin en mars 1840, tente de s’attirer à nouveau les bonnes grâces de Hugo avec lequel il est en froid depuis longtemps.

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