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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 juillet [1841], mercredi après-midi, 1 h.

Je compte sur ta loyauté, mon Toto, pour ne pas aller sans moi aux séances publiques de l’Académie [1]. Il va trop sans dire, mon ami, que tu ne peux pas exiger de moi des sacrifices et des privations de toute espèce pour ne m’en faire aucun de ton côté. Il serait par trop injuste et par trop tyrannique que tu me tinsses enfermée depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre sans aucune liberté et que de ton côté tu ailles à toutes ces assemblées où les femmes font assaut de coquetteries et d’agaceries plus ou moins provocantes. N’est-ce pas, mon amour, que tu n’iras pas sans moi ? Je t’aime mon Victor bien-aimé et je suis jalouse, c’est bien naturel, l’un ne va pas sans l’autre. Mais il ne faut pas que tu abuses de ce sentiment-là pour me tourmenter outre mesure.
Je voudrais bien, mon Toto, que tu trouvassesa le moment de me mener voir mon père [2]. Je voudrais aussi que nous trouvassions le moyen de lui rendre l’argent de son cadre, quoiqu’il me l’ait donné. Je trouve juste de ne l’accepter qu’en lui en rendant l’argent. J’aime mieux me passer de fleurs et de beaucoup d’autres petits agréments intérieurs et me donner cette satisfaction-là. Tu dois trouver cela juste, mon Toto, j’en suis sûre [3].
Je viens d’envoyer acheter ton élixir [4], du papier et des pains à cacheter, chose qui dure peu à la maison, attendu l’énorme consommation que nous en faisons. Je parle du papier et des pains à cacheter. Les années se suivent et ne se ressemblent pas, pour moi du moins. L’année passée, à pareille époque, tu dînais et tu couchais chez moi presque tous les jours et j’avais la certitude d’un bon voyage de deux mois. Cette année je te vois à peine et j’ai le désespoir de penser qu’au bout de tant d’ennui, de solitude et de privation, il n’y aura pas le plus petit voyage. C’est une pensée bien triste et bien décourageante que celle-là, mon amour, et je serai la plus malheureuse des femmes si elle se réalise [5].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 25-26
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « trouvasse ».

Notes

[1Tous les jeudis ont lieu les séances publiques à l’Académie. Le 10 juin, Victor Hugo a assisté à sa première et par la suite, Jean-Marc Hovasse fait remarquer qu’il sera, à quelques exceptions près, « un académicien modèle » (Victor Hugo, t. I, ouvrage cité, p. 824). Quant à Juliette, elle prendra très vite l’habitude, ainsi qu’elle en prévient Hugo, d’assister à autant de ces séances publiques qu’elle le pourra, mais pour l’instant le poète se montre encore réticent à le lui permettre.

[2L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides, très malade.

[3Juliette parle peut-être d’un portrait de lui que son oncle lui a donné. Voir la lettre du dimanche 29 août matin.

[4Juliette se procure tous les mois cet élixir chez un certain Lambin.

[5Depuis 1834, le couple a pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. Malheureusement, en 1841, Hugo est trop occupé par la rédaction monumentale du Rhin, et leur voyage annuel n’aura pas lieu, au grand désespoir de Juliette.

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