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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 octobre [1837], lundi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon petit homme bien aimé. Je vous aime quoique vous m’ayez fait passer plusieurs quarts d’heure désagréables depuis hier. Je vous ai attendu jusqu’à 9 h. avant de dîner, espérant que ma persévérance me porterait bonheur. Toutes mes précautions ont été inutiles. Je suis restée seule dans mon coin. Si vous voulez que je vous pardonne ce nouveau crime, il faut que vous soyez revenu ici devant moi dans une heure au plus tard. Sans cela je garde mon ressentiment qui sera des plus terribles et proportionné à mon amour.
J’ai enfin la flanelle qui se trouve être toute blanche. Je ne pense pas que cela te contrarie extrêmement. De plus il y en a DIX AUNES ET DEMIE ce qui n’est pas fâcheux au contraire. Il est bon qu’il y en ait un morceau de reste pour raccommoder les gilets et les caleçons.
Je commence à croire que vous déjeunerez aux Roches, ce qui me fait un double grief contre vous, car il vous était si facile de voir Durmont [1] ce matin qu’en vérité il faut que vous m’aimiez bien peu pour ne l’avoir pas fait. Je tiens compte de tous les faits qui prouvent l’amour et de tous ceux qui prouvent l’indifférence. Et jusqu’à présent ces derniers sont les plus nombreux et peut-être les plus concluants. Je suis triste et mouzonne ce matin. Ne vous attendez donc pas à beaucoup de gaieté de ma part. Je vous aime de toute mon âme, voilà ce que je ne peux pas m’empêcher de faire, à mon cœur défendant, car vous ne le méritez guère.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 303-304
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


23 octobre [1837], lundi soir, 5 h. ½

J’étais loin de m’attendre à ce prompt et fâcheux retour, aussi j’en suis encore toute renversée. J’avais si bien fait mes dispositions pour prendre avec toi quelques journées heureuses qu’il m’est dur de les voir renverséesa tout d’un coup et sans pouvoir m’y opposer. Cette nouvelle, comme tu le penses bien, ne m’a pas ôté mon mal de tête, au contraire. Je souffre horriblement et pour un rien je me coucherais comme une boudeuse et une pauvre femme très vexée que je suis. Qu’est-ce donc qui vous a pris, mon cher bijoub, de ne pas me laisser lire ces vers après lesquels je soupire depuis que vous les avez commencés [2] ? Vous auriez dû me les laisser lire et puis me les relire ensuite vous-même pour me faire sentir les endroits que vous supposez que je n’aurais pas compris. En vérité mon petit homme vous [de]venez de jour en jour plus absurde et plus difficile à vivre et pour pas que cela continue je serai forcée de vous remettre [illis.]. Je t’aime tant que j’en perds le peu d’esprit que j’avais. Je ne sais plus ce que je dis nic ce que je fais. Je ne sens qu’une chose : mon amour. Aussi tu juges de ma stupidité quand par un hasard qui se présente presque tous les jours je ne peux pas te voir ni te caresser autant que j’en ai besoin. Je t’aime trop. Je ne peux pas t’aimer moins. Je sens au contraire que je t’aime toujours plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 305-306
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « renverser ».
b) « bijoux ».
c) « n’y ».

Notes

[1Bernard Durmont est l’avocat de Victor Hugo. C’est à lui qu’avait été confiée la défense de l’auteur lors du procès du Roi s’amuse.

[2Il s’agit de « Tristesse d’Olympio » que Hugo a achevé de composer le 21 octobre.

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