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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 janvier [1840], jeudi, midi ¾

Bonjour mon Toto chéri, bonjour je t’aime. Bonjour, bonjour. Votre tisanea est faite, je suis débarbouillée et je vous aime. Je crois que le temps va se gâter aujourd’hui, il fait un vilain brouillard puant et les ruisseaux s’amollissent. J’espère, mon Toto, que te voilà quitte de répétition, de représentation et de Walewskib [1] ? Il serait triste pour moi de passer mes journées sans te voir à cause des affaires des autres, c’est déjà trop pénible d’avoir à les passer seule à cause des nôtres. Aussi je t’en prie, mon adoré, ne pousse pas la bonté et la politesse à l’extrême et aux dépensc de ma tranquillité et de mon bonheur.
Quand donc m’apporteras-tu cette copie ? Voilà une éternité que tu me la promets sans me l’apporter. J’aimerais cependant mieux te COPIRE que de lire les stupidités et les platitudes de M. Tel ou Tel. C’est difficile à croire mais c’est vrai. Baisez-moi, mon amour, baisez-moi et rions ensemble de cet exécrable peuple qui boit du sang [2]. Comment va votre maladie SECRÈTE mon amour ? Je le dirai à tout le monde d’abord si vous ne faites pas tout ce que je veux. Je suis trop heureuse de pouvoir me venger si vous m’en donnez le moindre sujet. En attendant marchez droit sur ma maison et venez me baiser tout de suite.
J’ai oublié de te donner ta petite bautte cette nuit, mais ce n’est pas le moment de la mettre et puis d’ailleurs j’aime mieux que vous ne fassiez pas si petit pieds dans toutes vos visites. Gardez donc vos BAUTTES et votre fidélité. J’aime mieux ça. Jour, on ne peut donc pas rire avec vous ? Tiens, tiens, eh bien c’est bon on ne ritd pas et on vous prie d’en faire autant avec toutes les femelles de votre connaissance avec lesquelles vous êtes toujours beaucoup trop aimable. Baisez-moi, mon Toto, et tâchez de venir me voir un peu. Vous êtes si bon et si gentil pour tout le monde, soyez-le donc un peu aussi pour moi. Je t’aime mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 32-33
Transcription de Chantal Brière

a) « tisanne ».
b) « Waleski ».
c) « au dépend ».
d) « rie ».


9 janvier [1840], jeudi soir, 4 h.

« Si tu étais prête quand je viens, je t’emmènerais mais tu n’es jamais prête ce n’est pas ma faute. » Si vous veniez quand je suis prête ça me serait égal de ne pas sortir parce que je vous aurais vu. Mais vous ne venez jamais qu’à des heures indues de sorte que la peine que je prends d’être prête et de vous désirer de toutes mes forces est perdue. Je suis seule comme un loup dans mon pauvre coin, broyant du noir et de la jalousie le plus que je peux, distraction fort monotone et très propre au mal de tête ; aussi j’en ai un soigné. Je pensais que tu me ferais peut-être sortir aujourd’hui. Ce n’est pas une dépense car j’économise mon dîner, ma lampe et mon bois, ce qui compense l’omnibus et la petite dépense de Mme Pierceau. Voilà pourquoi j’insiste pour que tu me donnes cette distraction parce que de rester continuellement seule et dans la même atmosphère me fait mal plus que je n’ose te le dire. Il est probable, d’après ce que tu m’as dit hier, que tu auras passé ta journée avec le Walewskia [3] soit chez toi, soit chez lui, soit au théâtre ? Il paraît que je ne pouvais pas l’éviter ? Toutes les choses qui m’attristent et m’inquiètent je suis sûre tôt ou tard qu’elles m’arrivent. Enfin c’est comme ça et je devrais bien m’y habituer ne fût-ceb que pour ne pas t’ennuyerc de mes éternelles doléances ; il est vrai que le jour où je serai parfaitement calme je serai aussi parfaitement indifférente mais peut-être ne demandes-tu pas mieux ? J’y ferai tout mon possible, cependant jusqu’à présent j’ai réussi à faire tout le contraire. Baisez-moi mon amour. Je vous aime, mon Toto, pensez à moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 34-35
Transcription de Chantal Brière

a) « Waleski ».
b) « fusse ».
c) « ennuier ».


9 janvier [1840], jeudi soir, 5 h.

Je venais de t’écrire, mon adoré, quand tu es venu, mais je prends sur mon mal de tête pour satisfaire mon cœur en t’écrivant ce petit supplément de lettre. Tu es mon noble, mon ravissant petit homme, tu es mon généreux, mon adoré amant. J’ai honte de moi quand je pense que j’ose être de mauvaise humeur devant toi. Pardon, pardon, mon pauvre bien-aimé, il y a bien de l’amour dans mes rudesses, bien de la délicatesse et bien des raffinements dans ma mauvaise humeur ; mais comme tu ne peux pas voir au fond de mon cœur, tu peux prendre au pied de la lettre mon extérieur et alors je suis un monstre inexplicable et inexcusable. Cependant je ne suis rien moins que ça, mon adoré, car il est impossible d’être plus, ni mieux aimé que toi par moi. Sois tranquille, mon Toto chéri, je vais bien ménager l’argent que tu as tant de peine à gagner. Je t’aime, je t’admire, je t’adore ; si je m’écoutais, je couvrirais des rames de papier de mon amour mais j’ai pitié de tes pauvres yeux. À tantôt, mon petit homme, à tantôt. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 36-37
Transcription de Chantal Brière

Notes

[1Le 8 janvier 1840 était donnée au Théâtre-Français une comédie de Walewski, L’École du monde ou la coquette sans le savoir, à laquelle Juliette aurait voulu assister aux côtés de Hugo.

[2Formule parodiant une réplique de Marie Tudor : « Mais ris donc, rions toutes deux de cet exécrable peuple qui boit du sang. », Journée 3, partie 2, scène 2.

[3Le 8 janvier 1840 était donnée au Théâtre-Français une comédie de Walewski, L’École du monde ou la coquette sans le savoir, à laquelle Juliette aurait voulu assister aux côtés de Hugo.

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