24 mai [1849], jeudi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon Toto, bonjour, mon aimé petit homme, bonjour. Est-ce que tu as un peu pensé à moi depuis hier au soir ? Est-ce que tu m’as regrettée et aimée ? S’il en est ainsi, mon adoré petit Toto, je suis la plus heureuse des femmes malgré les longues journées d’absence et d’isolement que me font tes affaires incessantes et la République coquelicot. Mais, j’y pense, mon bien-aimé, puisque votre Assemblée sera moins nombreuse, ta lettre H reviendra plus souvent et je pourrai te voir davantage [1] ? Il faut absolument que tu trouves moyen de me faire assister plus souvent aux séances, non pour l’intérêt des séances en elles-mêmes, qui ne sont rien moins qu’amusantesa la plupartb du temps, mais pour le bonheur que me fait ta douce vue dont je n’ai été que trop privée depuis un an. Il faudra, quelles que soientc ton opinion politique et celle des questeurs à venir, te mettre bien avec eux pour que j’aie des billets tous les jours. Si tu ne le fais pas c’est que tu ne m’aimes pas, ce qui me sera une nouvelle preuve à ajouter à la médecine Leboucher. En attendant cette AGRÉABLE certitude, je voudrais bien être à dimanche et qu’il ne se soit rien passé de grave dans l’intervalle. Cependant j’espère que le bon Dieu y mettra la main et qu’il nous débarrassera sans trop de peine de tous ces affreux gredins à 25 francs [2]. Jusque-là j’aurai encore probablement bien des venettes [3] et bien des transes, mais je m’y résigne d’avance pourvu qu’il ne t’arrive rien.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16367, f. 151-152
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
a) « amusante ».
b) « plus part ».
c) « quelque soit ».
24 mai [1849], jeudi matin, 11 h.
Cette fois, mon petit Toto, je crois que nous tenons le beau temps ; ce n’est pas malheureux. Mais ce qui le serait encore moins, c’est si la tranquillité et le calme revenaient à l’ordre du jour. Pour ma part j’en serais bien heureuse, car je commence à avoir beaucoup trop de toutes ces émotions politiques et anarchiques. Merci, j’aime mieux l’île Saint-Denis [4] et la matelotea d’anguille. Dès que la LÉGISLATIVE sera installée [5], je demanderai mes culottes à cor et à cri. Nous verrons quelle chose vous allèguerez pour vous dispenser d’acquitter tout de suite cette dette sacrée. Je vous préviens que je serai sans patience et sans confiance si vous trouvez encore quelque prétexte pour ajourner ces deux pauvres culottes depuis si longtemps promises et si attendues. Tant que la nouvelle Assemblée ne sera pas installée je ne dis rien, mais une fois l’emménagement fait je n’écoute plus rien. Mon petit homme, je commence à me défier de vous, il est bientôt temps, n’est-ce pas ? Enfin vaut mieux tard que jamais. Donc je me défie de vous et je sens que je ne vous rendrai ma confiance qu’avec les culottes. Jusque-là je vous suspecte de mauvaise foi, de filouterie et démocratie pacifique. Toutes les opinions sont libres et je vous donne la mienne pour ce qu’elle est. En attendant, mon petit homme, baisez-moi et laissez-vous coiffer de mon casque de pompier, à moins que vous n’en vouliez faire des amendes honorables à vos chers petits goinfres, à quoi je ne m’oppose pas.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16367, f. 153-154
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
a) « matelotte ».