Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1837 > Août > 2

2 août [1837], mercredi soir, 9 h. ¼

Je suis bien fâchée mon cher petit homme de vous avoir fait dépenser autant d’argent en omnibus aujourd’hui. Ça n’a pas été ma faute tout à fait puisqu’il était trop tard pour revenir à pied. Demain si tu me mènes chez Mme Pierceau j’irai et je reviendrai à pied. Je marcherai devant toi en allant. Soir mon petit o. Je t’aime, va. Je t’aime de toute mon âme. Tu ne viendras pas ce soir. J’en suis sûre, aussi je vais me coucher. J’ai un mal de tête absurde. J’ai bien besoin du grand air et de la campagne pour me faire passer cette mauvaise habitude du mal de tête quotidien. Vous voyez bien mon Toto que vous me croyez une femme vulgaire, une intelligence bornée et toutes les autres qualités qui distinguent la femme prosaïque. C’est très mal à vous de me voir telle que je suis. Si vous m’aimiez comme vous le dites, vous seriez aveugle [1]. Lisez plutôta Racine [2] et la description de l’amour classique. Vous y verrez que l’amour ne voit pas. Et je ne connais pas d’homme plus clairvoyant que vous à l’endroit de mes défauts sans nombre. Mais vieux Toto regardez-moi donc au cœur et pas à la tête. Vous y verrez des merveilles, c’est-à-dire l’amour dans toute sa splendeur. C’est qu’avant d’être une femme supérieure comme on dit, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 131-132
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « plus tôt ».


2 août [1837], mercredi après-midi, 1 h. ¼

Certainement que je comprends toutes les admirables choses que vous faites. Vous en doutez, vous ? Ces hommes sublimes sont stupides [3] ! J’étais très gaie et très gentille ce matin. Me voici de nouveau retombée dans ma tristesse et ma maussaderie habituelles. Je ne peux être rien de bon et d’aimable sans vous. Ce n’est pas ma faute. Il est probable que vous ne reviendrez pas de sitôt. Cependant j’aurais bien besoin d’aller voir Mme Pierceau pour la presser un peu. Il faudra aussi que j’aille à la pension de Claire et avant de partir j’attendrai pour cela que vous veuilleza bien m’y mener. Je t’aime. Je t’aime. Vous avez eu l’air quand je vantais ma sobriété tout à l’heure de dire que j’étais une gueularde [4], ce qui m’a beaucoup humiliée. Est-ce que c’est vrai que vous me croyez une gueularde ? S’il en est ainsi, je ne mangerai plus que du pain dur et pas tout mon saoul pour vous prouver le contraire. Je t’aime vilain et vieux Toto. Je t’aime tu le sais bien et tu en abuses sans en user. Je t’aime qu’on vous dit. Jour mon petit o. Jour mon gros to. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 133-134
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « veuilliez ».

Notes

[1Le mot est souligné pour faire sens avec la phrase suivante dans laquelle Racine est évoqué. Juliette pense très probablement au vers tiré de Phèdre (« Votre amour vous aveugle en faveur de l’ingrat ») ou encore à ceux d’Iphigénie (« À mon aveugle amour tout sera légitime ») et d’Andromaque (« Tel est de mon amour l’aveuglement funeste »), par exemple.

[2Cette injonction taquine, itérative dans les lettres des dernières semaines, se veut tantôt allusion stylistico-esthétique, tantôt clin d’œil amoureux, et souvent, comme ici, les deux à la fois.

[3Détournement et reformulation d’une réplique de la Tisbe à Catarina dans Angelo (« Vous en doutez, vous ? Ces femmes vertueuses sont incroyables ! » [Journée II, scène 5]).

[4Le mot est à comprendre ici au sens de « goinfre, gourmande ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne