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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 30 janvier 1855, mardi soir, 4 h.

Voici l’heure du revenant petit Toto dès que P. B. C. [1] reluit sur la tour du nord de la poste restante qui n’est pas la post prandiuma hygiénique que vous oubliez trop pour votre santé en général et pour mon bonheur en particulier. J’espère vous entrevoir tout à l’heure quand vous vous dirigerez vers l’endroit mystérieux et chaumontélique [2]. Aussi je vous attends avec confiance et je vous aime de même puisqu’il n’y a que la foi qui sauve. J’ai reçu tout à l’heure une lettre de Mme de Montferrier, très bonne, comme toujours, mais au fond assez triste pour ce qui les intéresse. Pauvres gens si obligeants, si généreux et si affectueux. C’est un profond regret pour moi de ne pouvoir pas leur venir en aide dans leur détresse car jamais service rendu ne se serait mieux adressé qu’à ces braves et excellents amis-là [3]. Mais hélas ! j’ai la bourse moins remplieb de bonnes livres sterlings que le cœur de bons sentiments. C’est pourquoi je passe ma vie à plaindre stérilement tous ceux que j’aime. MON SANG C’EST MA SEULE MONNAIE et je te l’ai donné jusqu’à la dernière goutte, avec et sans calembourc. J’ai vu tantôt le citoyen Préveraud qui m’a rapporté ma montre, laquelle coûte 4 shillings de raccommodage que je serai forcéed de te porter en compte car il m’est impossible ainsi que nous en sommes convenus à notre arrivée ici et quand la vie y était un peu moins chère, que je ne pouvais pas subvenir à aucun faux frais d’aucune nature en dehors de mes besoins réglés et quotidiens. Tu dois t’en souvenir, mon petit Toto, car c’est comme cela que j’ai pu prendre à ma charge les gages de Suzanne, 25 F. par mois. J’entre dans ces détails pour que tu ne croies pas que j’abuse de ta confiance et que je prends sur ta bourse les pauvres dîners que je te donne et qui ne me font tant de joie que parce que, précisément, je m’ôte les morceaux de la bouche toute la semaine pour avoir le bonheur de te donner de temps en temps un bon petit plat de fricot et mon cœur à manger à la même sauce.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 52-53
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa.


a) « prendum ».
b) « rempli ».
c) « calembourg ».
d) « forcé ».

Notes

[1À élucider.

[2Adjectif forgé sur « Chaumontel ».

[3Mme de Montferrier est une amie de Juliette qui a logé Victor Hugo avant sa fuite à Bruxelles après le coup d’État du 2 décembre.

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