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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 décembre [1844], vendredi soir, 6 h. ¼

Je suis levée, mon Toto, mais je ne souffre pas moins que dans mon lit. J’avais eu recours tantôt à ma drogue et cela m’avait calmée mais depuis une heure environ mon mal de tête m’a reprisea avec fureur. Je souffre tant que je n’ai de courage à rien. Je m’en veux de n’avoir pas mis mieux à profit le seul petit moment de joie que tu m’apportais tantôt. Je me trouve inepte et stupide. Depuis hier j’ai honte de moi-même. Je crois vraiment que ma pauvre tête se désorganise. Je vis d’une vie si contraire à la raison et à la santé qu’il ne serait pas impossible que cela me trouble le cerveau. Pour ma part je le crois. Ce que j’ai fait hier pour ce pâté me le prouverait plus que je ne voudrais. Du reste, si ma tête déménage mon cœur ne s’en ressent pas lui car il t’aime mieux et plus que jamais. Je ne sais pas si je peux considérer cela comme une compensation mais cela est. Je ne veux pas grogner ce soir quoique l’heure avancée m’en donnerait presque le droit. Mais je ne veux pas annuler la mauvaise humeur avec le mal de tête c’est déjà trop de l’un ou de l’autre sans avoir l’un et l’autre. Ainsi mon cher petit bien-aimé, il faut que tu considères ce gribouillis comme très jovial et très loustic et que tu croies que j’éclate de rire en le faisant. Il faut que tu me trouves très gaie, très aimable et très heureuse. Peut-être si tu le crois un peu que cela me le persuadera à moi-même, ce dont je ne serais pas fâchée, entre nous soit dit, car je me porte sur mes propres épaules tant je me trouve bête, lourde, insignifiante et insipide. La meilleure manière de m’induire dans cette douce erreur serait de venir tout de suite et de rester très longtemps auprès de moi. Mais si tu me laissesb seule je suis capable de me faire justice en me tirant la langue, en me pinçant le nez et en me faisant les cornes ! Ne me laisse pas arriver à cette dure extrémité, mon Toto. Songe que je t’aime de tout mon cœur, de toute mon âme, de toute ma raison et de toutes mes forces. Il ne me reste donc plus rien à moi en propre, ce qui fait que hors de mon amour je ne suis bonne à rien qu’à faire une bête stupide, la plus bête des bêtes, une HUÎTRE. Quand je te vois il me semble que mes écailles s’ouvrent et que l’air le soleil et l’amour me pénètrent et me transforment en quelque chose d’ailéc, de doux et de charmant. Dépêche-toi de venir faire cette métamorphose, je t’en supplie à genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 197-198
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « repris ».
b) « laisse ».
c) « ailée ».

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