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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 1er janvier 1863, jeudi matin, 7 h. ½

JE T’AIME,
J’ai déjà dévoré ma chère petite lettre, mon grand adoré, et je la sais par cœur comme si c’était moi qui te l’aie dictée. Je sens tout ce que tu sens, ta prière est ma [prière ?] et ton désir ardent le mien. J’espère que Dieu exaucera nos vœux et que nos deux âmes ne seront pas plus séparés dans l’autre vie que nos deux corps dans ce monde[-ci ?].
Bien avant le jour j’écoutais venir ma chère petite lettre dans la pulsation de mon horloge qui la rapprochait de mon âme de seconde en seconde. Enfin quand le petit point du jour a paru j’ai appelé Suzanne pour qu’elle ouvrît la porte à ce doux messager d’amour qui heurte annuellement à mon cœur impatient de le recevoir et de l’en plus laisser sortir. C’est pour cela, mon bien-aimé, que je t’écris encore de mon lit aujourd’hui [plusieurs mots illisibles ou rature] où je suis avec ma chère petite lettre que je baise et que je dorlotea chaudement COMME UNE PERSONNE. Savez-vous, mon cher petit homme, que le premier mot de mon cœur est sorti de ma plume en même temps que le premier rayon de soleil est sorti du coup de canon ce matin [1] ? Quel honneur pour le soleil ! Je le dis avec conviction car le mot : je t’aime contient à lui seul plus que tous les soleils puisqu’il contient : Dieu tout entier.
J’espère que la journée sera belle et digne d’introniser notre année de jubilé de trente ans d’amour [2]. J’espère surtout que tu seras heureux, mon doux adoré, et que rien de triste ne viendra affliger ta vie ni troubler ta grande œuvre humanitaire et sublime. Que Dieu te donne gloire, paix et bonheur, moi je te donnerai l’amour par surcroît autant et plus que tu ne pourras en consommer pendant toute l’éternité.
J’ai entendu tout à l’heure ton cher petit bruit accoutumé et j’y ai répondu par un : Bonjour, mon cher petit Toto, que tu as pu entendre si les âmes ont des oreilles. Maintenant je vais me hâter de me lever pour laisser aller Suzanne à la messe et pour être prête moi-même à recevoir des visites tantôt. J’espère encore que tu ne te seras pas inquiété de mon séjour dans le lit ce matin puisque je t’ai expliqué que j’y restais que pour avoir chaud quand j’écris. Cela dit une fois pour toutes, je te baise de l’âme et je t’attends de cœur ferme et toute tendresse dehors. À bientôt, mon adoré, à tout à l’heure, les baisers, en toute éternité mon amour. Je te bénis, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16384, f. 1-2
Transcription de Chantal Brière

a) « dorlotte ».

Notes

[1« Il entra à Saint-Pierre-Port au premier rayon du jour sortant de la mer, au moment même où le château Cornet tirait son coup de canon au soleil », Les Travailleurs de la mer, I, IV, 6. Aujourd’hui, un coup de canon est tiré depuis le château Cornet à midi.

[2Juliette et Victor Hugo sont amants depuis le 16 février 1833.

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