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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 mars 1849

19 mars [1849], lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour, mon affreux grognon, bonjour. Que je vous voiea jamais prendre le change sur ce que je vous disb et profiter de ce prétexte pour me faire une SCÈNE et puis vous aurez affaire à une ancienne Juju, tourbillon de griffes, qui ne vous laissera pas un cheveu, pas un œil, pas une dent entière. Vous êtes averti, maintenant c’est à vous de vous taire ou de n’ouvrir la bouche que pour dire : « médaime, je suis on ne peut pas plus flétté de la douceur de votre caractère et de la gracieuseté de vos ménières, et je me rends à des conseils donnés avec cette aimabilité » [1]. Vous êtes-vous bien amusé chez votre ex-roi [2] ? À quelle heure êtes-vous revenu ? Après cela je ne sais pas pourquoi je vous fais cette demande, car il vous est trop facile de me faire la réponse que vous voulez. Ce que j’ai le mieux à faire dans l’intérêt de ma curiosité et de ma tranquillité, c’est de ne vous rien demander du tout et de vous surveiller d’une façon OCCULTE. Comme cela je pourrai être mieux renseignée et faire usage de mon arsenal de guerre et de mort selon l’importance de la situation et du crime dont vous vous serez rendu coupable. Jusque-là, baisez-moi, dormez et ne grognez pas. Je vous aime malgré vous et pour souffrir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 55-56
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « voye ».
b) « dit ».


19 mars [1849], lundi, midi ½

Est-ce que tu ne viendras pas en allant à l’Assemblée, mon cher petit homme ? Cependant je n’ai que ce moment pour te voir, car je compte à peine ce soir puisque nous ne serons pas seuls et quea tu t’en iras aussitôt après ton dîner. J’espère que tu auras une bonne pensée et un petit moment et que tu en profiteras pour venir me baiser ne fût-ceb qu’une pauvre petite fois. Demain par exemple je reprends ma course avec toi. Il y aura quinze jours que je suis au bloc [3]. J’en ai assez et même trop. Guérie ou non, je m’embarque demain. Vous enragerez mais je m’en fiche, vous bisquerez mais je m’en moque, vous ne pourrez pas faire vos yeux blancs aux lorettes noires mais je m’en bats l’œil, vous ne pourrez pas vous livrer à vos admirations libidineuses pour les bas et les mollets des MARCHEUSES mais je suis insensible à cette douloureuse privation. Enfin vous serez un pauvre Toto très attrapéc et moi une Juju très contente, ce qui ne m’est pas indifférent. Maintenant c’est à vous de voir si vous aurez la platitude de vous venger de mon triomphe futur en ne venant pas tantôt, ce qui serait bien lâche pour un représentant de quatre-vingt-sept mille hommes [4]. J’espère le contraire et je vous baise d’avance.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 57-58
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « je pourrai » rayé.
b) « fusse ».
c) « attrappé ».

Notes

[1Imitation d’un accent affecté.

[3La goutte dont souffre Juliette Drouet depuis plusieurs semaines (elle en fait état le 6 mars) la contraint à la réclusion forcée.

[4Le 4 juin 1848, Victor Hugo a été élu représentant du peuple à la Constituante avec plus de quatre-vingt sept mille voix.

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