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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 mars 1849

14 mars [1849], mercredi matin, 8 h.

Bonjour, mon pauvre homme, bonjour. C’est donc ce soir que tu te dévoues au bal du président de la République [1] ? On n’est pas plus vertueux et plus héroïque que ce Toto-là. Pauvre homme, pauvre homme, pauvre homme, va, tu me fais de la peine tout plein et [puis  ?] encore. Et dire que ces choses-là ne sont pas récompensées, qu’il n’y a pas de sabre d’honneur au bout, ça fait frémir d’indignation sur l’ingratitude des hommes. Quant aux femmes c’est autre chose et il n’y en aa pas une, à commencer par moi, qui ne soitb en admiration devant des vertus de cette dimension et de ce calibre [illis.]. Quand nous aurons acquis nos droits politiques, nous vous appelleronsc dans notre sein et nous vous mettrons à notre tête dont vous ferez le plus bel ornement. En attendant, pauvre homme, continuez à vous dévouer, à vous massacrer pour la plus grande gloire des bastringues du grand monde et pour le bonheur des grisettes armoriées. Je vous bénirai et je vous voterai toutes sortes de couronnes civiques. Pour mieux y parvenir je vais m’occuper de mon pied aujourd’hui à fer et à clous [2]. Si le père Triger ne peut pas venir je me houspillerai moi-même, car je suis lasse de tourner mes pouces chez moi toute seule pendant que vous vous sacrifiez à la patrie sur l’autel des vésuviennes [3] des douze arrondissements [4].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 39-40
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « il n’y en n’a ».
b) « soient ».
c) « appelerons ».


14 mars [1849], mercredi midi

Je voudrais bien grogner, mon petit Toto, mais j’en suis empêchée par la pensée que cela ne te fera pas le moindre effet et que tu n’en seras que plus indifférent et plus empressé de me quitter après ma grognerie qu’avant. C’est pourquoi je garde pour moi toute seule la bisquerie qui m’étrangle et que je te souris à la manière du Moëssard le vertueux.
Je n’ai pas vu de père Triger. J’attends pour envoyer chez lui que l’heure soit venue où on peut le trouver. Avec tout cela, je ne peux toujours pas sortir, ce dont j’enrage dans ma peau de Juju. Encore si on avaita pu mettre à profit cette réclusion forcée pour me refaire une autre figure, je n’aurais pas eu autant d’impatience. Mais quand je pense que c’est pour ce bête de pied seulement que je suis prisonnière, je suis prête d’entrer dans une fureur atroce. Taisez-vous, vous, et allez à votre bal puisque vous ne savez plus et que vous ne pouvez plus faire que ça. Enrhumez-vous et amusez-vous, je vous le souhaite de tout mon cœur. Vous n’aurez d’ailleurs que ce que vous méritez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 41-42
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « Si on n’avait ».

Notes

[1Victor Hugo et sa femme sont invités au bal du Président de la République.

[2Au sens figuré, l’expression signifie « solidement » (Littré). Dans le cas présent, elle prend pour sens « de manière déterminée ».

[3Femmes parisiennes qui ont pris les armes lors de la Révolution de 1848. Elles revendiquent une Constitution politique pour les femmes, et l’accès à tous les emplois publics, civils, religieux et militaires. Ultra-radicales, elles desservent toutefois la cause féministe en réclamant des réformes fantaisistes comme l’obligation du mariage à 21 ans, la mise en place du service militaire obligatoire féminin, et le doublement du service militaire pour les hommes qui refuseraient les tâches ménagères.

[4Divisée en 48 sections par la loi du 27 juin 1790, la ville de Paris connaît un nouveau remaniement le 11 octobre 1795. La loi du 19 vendémiaire an IV divise les 48 sections existantes en 4, créant ainsi douze arrondissements.

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