Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1844 > Novembre > 19

19 novembre [1844], mardi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon petit Toto adoré, bonjour mon petit Toto chéri, bonjour mon cher amour bien-aimé, comment que ça va ce matin ? Ce vilain temps sombre ne te fait pas de mal à toi tant mieux mon cher petit bien-aimé, c’est bien assez de moi qu’il rend toute malingre et toute maussade. Il est vrai, pour être sincère, qu’il y a quelque autre chose encore dans l’atmosphère qui contribue à cette irritation nerveuse. Tu devines bien quoi sans que je te le dise, n’est-ce pas mon cher amour ? Je n’ai jamais vu d’affaire plus traînante et plus énervante que celle qui nous occupe dans ce moment-ci, pour ma part je suis à bout de ma patience depuis longtemps, ce qui n’est pas le moins du monde incroyable. Je donnerais bien deux sous de mon argent pour que ce fûta fini fini et refini [1]. Quel affreux temps ! Quel hideux temps ! Quel horribleb temps ! Je n’y vois goutte et j’ai Mamzelle Cocotte sur mon doigt pour l’empêcher de faire d’affreux cris. J’aimerais mieux vous avoir dans mon lit, cela me serait plus agréable et moins fatigantc. Mais vous n’êtes pas si bête que de venir vous reposer à côté de moi, vous auriez peur d’attraperd la gale probablement. Vilain [que chi on  ?] [2] taisez-vous c’est plutôt moi qui l’attraperaise de vous si je voulais me hasarderf à me frotter auprès de votre seigneurie POLAIRIENNE [3]. Il faudra pourtant que nous nous risquions mutuellement car je ne vais pas passer ma vie à tourner mes pouces, je vous en préviens. En attendant, dépêchez-vous d’être PAIR OU NON car ça commence à m’agacer effroyablement. Baisez- moi et prenez-vous-en au brouillard de ma stupidité car je me sens le cerveau ramolli. Je t’aime mon petit Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 67-68
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « fut ».
b) « horrible ».
c) « fatiguant ».
d) « attrapper ».
e) « attrapperais ».
f) « hazarder ».


19 novembre [1844], mardi soir, 8 h. ¼

Vous croyez peut-être que vous êtes gentil eh bien vous vous trompez diantrement. C’est moi qui vous le dis et qui ai la prétention de m’y connaître. Vous ne méritez pas que je vous aime comme je le fais. Taisez-vous. Vous m’ennuyeza beaucoup si vous vous croyez drôle [4]. Qu’est-ce qui vous a empêché de venir ce soir hein ? Ô si j’avais le courage d’être méchante et de me fâcher comme j’en aurais le droit ! Malheureusement je n’en ai pas la force, sans cela vous verriez beau jeu il est vrai que j’ai eu la visite de Mme Triger et de son JEUNE HOMME. Avec ça on n’a pas le droit de se plaindre, fichtre, je crois bien. Aussi je ne me plains pas. Je ris, je ris mais mon Dieu je RIS. Vous verrez ça ce soir de près vous m’en direz des bonnes nouvelles. J’espère qu’il ne t’est rien arrivé de fâcheux n’est-ce pas mon bien-aimé ? C’est déjà bien trop de ne pas te voir sans avoir encore l’inquiétude par-dessus le marché. Aussi tu devrais toujours tâcher de venir ne fût-ceb qu’une minute. Ce ne serait pas assez pour le bonheur mais ce serait assez pour la tranquillité. Maintenant il me faudra attendre jusqu’à minuit ou une heure du matin pour savoir si j’ai tort de me tourmenter. Enfin mon pauvre ange il faut que tu n’aies pas pu venir car tu es bon et tu sais que je t’aime plus que ma vie. Je tâche de me raisonner et de trouver mille bonnes excuses à ton absence mais hélas ! J’ai bien de la peine à en trouver une qui me satisfasse. N’oublie pas que je t’attends mon adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 69-70
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « ennuiez ».
b) « fusse ».

Notes

[1Hugo espère depuis des mois sa nomination à la Chambre des Pairs.

[2La lecture ne semble pas douteuse. « Que chi on » est-il une façon d’épeler « cochon » ?

[3En août 1844, Victor Hugo a été fait commandeur de l’ordre de l’Étoile polaire par le roi de Suède Oscar Ier.

[4Réplique de Guritan à Don César dans Ruy Blas, Acte IV, scène 5.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne