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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1834 > BnF, Mss, NAF 16322, f. 131-134

Mercredi, 1 h. ½ de l’après-midia

À tout hasardb, j’écris ces lignes avec la triste précertitude que tu ne les liras pas. Cependant, il m’est impossible de ne pas les écrire, j’ai besoin de me plaindre de toi à toi.
Depuis quelques jours, depuis hier et surtout aujourd’hui, tu as été profondément injuste et ingrat envers moi, car jamais je ne t’avais été plus fidèle, jamais je ne t’avais autant aimé que ces jours derniers, depuis que la possibilité d’une séparation forcée m’avait été démontréec.
Cette séparation que je n’entrevoyais que comme un sacrifice fait à notre amour même et à notre position, je l’accomplis aujourd’hui pour une raison bien moins noble et bien moins consolante que l’autre. Je l’accomplis pour échapper à une continuelle et injuste défiance qui t’ôte à toi le bonheur d’être aimé comme jamais homme ne l’a été, à moi le bonheur de t’aimer comme jamais femme n’a aimé son amant et son enfant, car pour moi tu étais ces deux sentiments-là, passion effrénée sans borne, sans comparaison sur la terre ni dans le ciel, sentiment affectueux, plein de sollicitude et de déférence, comme si tu avais été mon enfant le plus bénid, mon sang le plus pur. Ces deux sentiments qui font ordinairement le bonheur de la vie peuvent à peine nous procurer de rares instantse de répit dans cette continuelle agitation dans laquelle nous vivons tous les deux depuis quelques jours. Cette agitation, qui la provoque ? Ce tourment, qui le cause ? Est-ce ma conduite dissipée ou ma froideur ? Non, car ma conduite est droite et simple. Mon amour n’a jamais été plus démonstratif, témoin notre soirée au théâtre et chez moi, témoin cette délicieuse journée d’avant-hier où j’avais trouvé dans la force de mon amour celui de te cacher les tristes pressentiments que m’avait inspirésf la lettre de M. Jouslin. Qui peut donc causer cette inquiétude qui ne s’absente jamais de ta pensée ? Cette inquiétude qui me suppose gratuitement la plus infâme créature, la plus corrompue des femmes. Ce n’est certainement pas ma vie d’à présent, mais bien mes malheurs passés. Tu m’aimes mais tu ne m’estimesg pas, tu acceptes mon amour sans y croire. Moi, pendant ce temps, je souffre, je souffre des douleurs qui n’ont aucun nom, aucune qualification dans la langue humaine parce que ce n’est ni le corpsh ni l’esprit qui souffre, c’est l’âme, c’est la vie.

BnF, Mss, NAF 16322, f. 131-134
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon]

a) La lettre étant deux fois plus longue que les autres, Juliette a noté en haut de la cinquième page un « 2 » pour indiquer l’ordre de lecture.
b) « hazard ».
c) « démontré ».
d) « bénie ».
e) « instands ».
f) « inspiré ».
g) « estime ».
h) « ni ni le corps ».

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