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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 27 octobre 1858, mercredi matin, 8 h.

Merci, mon pauvre bien-aimé, je t’aime, voilà l’état de ma santé de cœur, d’esprit et de corps ce matin. Mais, toi, mon pauvre martyr, comment as-tu passé la nuit ? Je n’ose pas y penser tant j’ai peur que tu n’aies beaucoup souffert de toutes les parties sensibles de ton être physiquea et moral ? Et quand je pense que c’est moi qui t’ai fait tout ce mal par la faute de mon caractère indomptable, je suis tentée de m’enfuir au-delà de la vie pour te délivrer une bonne fois de mon amour tourmenteur et bourreau. Ce n’est pas la première fois que cette tentation me vient et je n’y résiste que par la crainte de te causer une sorte de remords injuste qui attristerait ta vie peut-être encore plus que je ne le fais moi-même en ce monde. Pauvre adoré, quel supplice tu t’imposes par bonté, par générosité, par un devoir mal compris de ce que tu ne dois pas à une créature qui n’a jamais su te rendre heureux, qui ne le saura jamais malgré l’amour sans borne qu’elle a pour toi. Cependant, mon pauvre bien-aimé, je vais encore essayer de te rendre moins malheureux et j’y emploierai tout mon cœur et toute mon âme et pour commencer tout de suite, je te souris, je t’aime et je te bénis.

Juliette

Bnf, Mss, NAF16379, f. 303
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « phisique ».


Guernesey, 27 octobre 1858, mercredi matin, 8 h. ½

Tu désires savoir ce que mon cœur te disait hier matin à cette heure-ci, mon cher bien-aimé ? Il ne me sera pas difficile de te le dire et je pourrais même faire remonter ma mnémoniquea jusqu’au premier moment où je t’ai vu, jour par jour, heure par heure, minute par minute sans crainte de me tromper. Depuis le moment suprême où je me suis donnéeb à toi pour la première fois, je n’ai eu qu’une pensée : t’aimer, qu’un mot : je t’aime, qu’un besoin : de te le dire sous toutes les formes et sous tous les prétextes. Tu vois donc bien, mon cher adoré, qu’il ne m’est pas difficile de te rendre fidèlement et le plus sic possible la teneur de la restitus d’hier [1]. Je peux être, et je le suis, hélas ! trop souvent pour ton bonheur, absurde, violente, méchante, et insensée sans cesser de t’aimer de toutes mes forces et de toute mon âme. C’est profondément vrai et profondément triste et j’en suis réduite souvent, par mon désespoir de te rendre malheureux, à désirer de t’aimer moins si le sacrifice de mon amour pouvait te donner la paix et le bonheur dont tu as tant besoin. Mon Victor bien-aimé, pense de ton côté au moyen de te rendre heureux et quel qu’il soit, j’y souscris d’avance car j’ai encore plus besoin de ton bonheur que de mon amour ou de ma vie, ce qui est la même chose.

Juliette

Bnf, Mss, NAF16379, f. 304
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « mnémonyque ».
b) « donné ».

Notes

[1Il n’y a pas de lettre conservée pour le jour précédent.

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