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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 juillet [1837], dimanche matin, 8 h. ¾

Bonjour vous que je ne sais plus de quel nom appeler. Il paraît que très décidément vous m’avez répudiée, seulement vous n’avez pas la franchise de me le dire. C’est une attention peu délicate et dont je ne vous sais aucun gré.
J’aimerais mieux que vous m’aimassiez et que vous me le prouvassiez. Cela me paraîtrait plus grand et plus noble que l’autre conduite qui est tout à fait mesquine. Plaisanterie à part, tu n’es pas malade, n’est-ce pas, mon petit homme ? Et tu m’aimes toujours, n’est-ce pas, mon cher petit bien-aimé ? À cette condition je consens à me faire des raisonnements pour m’empêcher de me tourmenter et de m’impatienter comme je le fais depuis quelques jours. Sais-tu qu’il y aura demain 8 jours que je ne t’ai pas eu à déjeuner ? C’est bien long, huit jours. Ah ! autrefois vous ne passiez même pas huit heures sans me donner des preuves non équivoques de votre amour. Autre temps, autre amour [1], ou plutôta, plus d’amour. Je fais ce que je peux pour me tromper moi-même, mais malgré mes efforts la vérité perce toujours. Il me semble que je suis la Tisbe interrogeant Rodolfo, et je connais les réponses de Rodolfo [2]. Malheureusement, ton extérieur et tes paroles coïncident parfaitement avec celles du dit personnage, ce qui me confirme plus que jamais dans l’affreuse pensée que tu ne m’aimes plus. Et si je ne craignais pas d’avoir l’air de répéter le rôle de la pauvre comédienne, je te dirais à peu près la même chose qu’elleb. C’est que je t’aime tant, mon Victor, que c’est bien triste pour moi de voir que tu m’aimes moins de jour en jour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 57-58
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


a) « plus tôt ».
b) « quelle ».


16 juillet [1837], dimanche soir, 8 h. ¾

Pardon, pardon, mon cher adoré. Pardon de m’être impatientée tantôt. Désormais j’aurai de la confiance. J’aime mieux être plus malheureuse en-dedans que de t’accuser injustement [3]. Soigne bien notre cher petit ange [4]. Je t’attendrai avec courage et patience. Je suis bien douce et bien résignée. Ma pauvre petite Dédé, je donnerais tous mes gros oiseaux d’or, toutes les perles qui tapissent mon mur, pour te voir danser et courir comme une belle petite fille sans bobo. Si l’affection donne des droits, je suis bien aussi ta mère, chère petite fille, car je t’aime comme mon enfant. Je baise ton pauvre petit cou bien doucement et la place de ton petit cœur bien fort. Jour on jour, mon petit Toto bien aimé. Ne t’afflige pas si tu peux. Notre petite fille se portera mieux demain et tout à fait bien après-demain. Et nous nous réjouirons et nous dirons QUEL BONHEURb ! Le petit Pierceau est parti [5]. J’ai fait pour lui ce que Mme Masson a fait pour tes petits goistapious [6]. Si tu peux venir, tant mieux doublement, car notre petite bien-aimée sera mieux alors. Si tu as la moindre inquiétude ou le plus petit besoin d’être auprès d’elle, restes-y. Je te promets d’être bien patiente et bien résignée et de n’avoir que ta pensée dans la tête et ton amour dans le cœur. Ainsi, ne te fais pas de mal. Aiea confiance en moi comme je l’ai en toi, et aime-moi un peu pour tout l’amour que je te donne nuit et jour. Soir pa, soir man.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 59-60
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « aies ».
b) Ces deux mots occupent toute la ligne.

Notes

[1Déclinaison du proverbe « Autres temps, autres mœurs » (d’après la locution latine de Cicéron « O tempora, o mores »).

[2Allusion à la pièce Angelo, tyran de Padoue de Hugo, dans laquelle Tisbe est trompée par Rodolfo.

[3Voir la lettre de la matinée, empreinte de suspicion et de jalousie.

[4Depuis la fin juin, l’état de santé de la petite Adèle est préoccupant.

[5Dans sa lettre de la veille, Juliette évoquait bien un dîner en tête-à-tête prévu pour le lendemain avec un jeune garçon. Mme Pierceau étant partie pour Corbeil dans les jours précédents, Juliette a la garde (alternée, semble-t-il) de son fils.

[6À élucider. Il s’agit peut-être d’une garde des enfants de Hugo par l’épouse de Léon Masson, ami proche de Hugo.

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