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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juillet [1837], vendredi matin, 8 h. ½

Bonjour cher petit homme, il paraît que vous n’aviez pas d’autre lettre à venir chercher cette nuit [1] et que l’agrément particulier de ma personne ne suffit pas pour vous faire revenir sur vos pas ? C’est peu de chose, mais c’est TRÈS JOLI. Avec cela vous ne me ferez pas d’enfant. On n’est pas plus attentionné que vous. Tu sais que je t’ai parlé hier de la coïncidence de ma pensée avec la lettre de Lamartine [2], eh bien on dirait que c’est moi qui ai dicté sa lettre, ce sont les mêmes pensées ORNÉES, voilà tout. Elle est charmante sa lettre et par-dessus tout, vraie. Si tu le permets, je la garderai. Quel dommage que je ne sache pas ASSEZ ÉCRIRE. Je t’écrirais tout ce que je sens, et quelle quea soit ta satiété, tu y prendrais goût et tu m’aimerais d’être plus qu’une pauvre bête d’amoureuse. Il me prend des tristesses de ma bêtise et de mon ignorance, parce que je sens bien que l’espèce d’attrait que j’avais pour toi s’en va tous les jours un peu, et que tu finiras par ne plus pouvoir me souffrir. C’est bien triste et bien décourageant. Je t’aime tant, et j’ai tant besoin de ton amour pour vivre. Quand donc m’apporteras-tu ta croix [3] ? Je voudrais l’avoir pour la porter. Si l’on récompensait l’amour par l’honneur, j’aurais le droit de porter le plus grand cordon [4] de France. Je t’aime, mon Victor. Je t’attends presque à coup sûr. J’aurai les ouvriers [5], c’est si attrayant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 49-50
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « quelque ».


14 juillet [1837], vendredi soir, 9 h. ½

Je vous aurais écrit beaucoup plus tôt, mon cher petit homme, si Mlle François n’était pas tombée comme une bombe au milieu de mon remue-ménage. Je lui ai donné à dîner et puis j’ai fait des cancans avec elle dont vous aurez les coups et les contrecoups. Je vous en préviens. En attendant, je remarque que mon lit a gagné cent pour cent à ce changement. Que sera-ce donc quand les PANACHES [6] y seront ! Maintenant je vais me faire reposer ma tenture afin d’avoir le bonheur de vous voir. Je ne suis sûre à présent de vous voir que lorsque j’ai les ouvriers chez moi. C’est donc un moyen que je peux employer car vos MOYENS VOUS LE PERMETTENT. Je t’aime mon cher petit bien-aimé et l’ortografe de M. PINTE [7] ne t’en donnerait qu’une bien faible idée, en y mettant tous les q de l’alfabête QOMME cela. Je trouve d’ailleurs que c’est un mauvais assaisonnement que la nouvelle sauce que [cet  ?] OMME a ajoutée à la grammaire. Je suis absolument comme toi tantôt lorsque tu écrivais à Lamartine, je ne peux pas faire une lettre sans l’orner d’un pâté. C’est généreux n’est-ce pas ? Voilà QOMME je faisa. Vraiment c’est hideux mais je n’ose pas recommencer une autre lettre, je serais encore plus bête que dans celle-ci, et il n’est pas sûr que je ne l’enfouirais pas encore sous les nuages d’encre qui obscurcissent celle-ci. Je t’aime, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 51-52
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) La première lettre de ce mot est effectivement recouverte d’un pâté, peut-être intentionnel cette fois.

Notes

[1Juliette, à cette époque, n’adresse pas ses lettres à Hugo par la poste ni en envoyant chez lui sa servante : elle dépose ses lettres quotidiennes dans une boîte chez elle, que Hugo relève quand il lui rend visite.

[2Le 10 juillet, Lamartine a envoyé de Saint-Point une lettre à Hugo, pour lui dire son admiration et le féliciter des Voix intérieures qu’il venait de lire (voir Massin, t. V, p. 1122).

[3Hugo a été promu au rang d’officier de la Légion d’honneur le 3 juillet. Il donnera à Juliette sa croix de chevalier (voir la lettre du 21 juillet).

[4L’appellation de « grand cordon » ne s’applique qu’aux titulaires des grades supérieurs de la Légion d’honneur (« Grande Décoration » et « Grand-Croix). Ils portent un cordon rouge en écharpe (largeur de 11 cm et longueur de 180 cm).

[5Juliette a entrepris de faire rénover sa chambre à coucher. C’est Jourdain, l’ami tapissier, qui a envoyé les ouvriers.

[6Il s’agit de bouquets de plumes ornementaux (aigrettes), disposés souvent verticalement aux quatre coins du dais du lit.

[7Il s’agit fort probablement de Camille Pinte, auteur en 1840 du Complément obligé de toutes les grammaires, et plus tard, en 1855 du Trésor nacional ô novel alfabet de la lvge frvceise pôr procéder […] à la réforme de l’ortografe (les « fautes » aux mots du titre sont de l’auteur). Cette allusion semble être le signe que Pinte était connu pour ses projets de réforme de l’orthographe avant même que ne soient publiés ses ouvrages.

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