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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 octobre [1844], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour mon charmant, mon ravissant Toto, bonjour. Je te baise de toutes mes forces, comment vas-tu ce matin, mon amour ? Ce brouillard, cette humidité ne te font pas de mal ? Tant mieux, mais il faut bien prendre garde à tes pieds. Quant à moi, j’ai été debout une partie de la nuit et ce matin. J’ai les intestins très douloureux. Je ne sais à quoi attribuer ce petit dérangement car je suis un régime très simple et très doux. Je pense que cela n’aura pas de suite. Oh ! bien, mon cher petit distrait, vous avez bien mis la lettre de la mère Luthereau à la poste cette nuit. Voime, voime, je vous en vélizite [1]. Je viens de l’envoyer mettre dans la boîte par Suzanne. Heureusement que ce qu’elle contient n’est pas autrement pressé.
J’espère, mon Toto, que tu ne manqueras pas de me venir chercher ce soir si tu vas à Saint-Cloud [2], quelles que soit les péronnelles qui sont chez moi ? Tu pensesa, mon cher bien-aimé, que rien au monde ne vaut pour moi le bonheur d’être une minute avec toi. Aussi je compte sur ta promesse en toute confiance.
Pauvre adoré bien-aimé, j’ai fait un affreux rêve cette nuit et je me suis éveillée en poussant d’affreux cris. Je t’en demande pardon car je m’en veux de faire de si vilains rêves sur toi, si doux, si noble et si charmant dans la réalité. Je ne sais pas à quoi cela tient mais je fais presque toujours des rêves horribles sur toi. Je me console en pensant au proverbe qui dit : tout songe tout mensonge. Baise-moi, mon cher amour, et aime-moi si tu veux que je sois bien heureuse et que je vive.
Je t’écris de mon lit dans lequel je me tords dans les coliques. Il y avait longtemps que je n’avais ressenti de douleurs d’intestins aussi vives. Je ne sais pas comment je ferai tantôt si elles ne se calment pas. Dans ce moment, j’ai toutes les peines du monde à finir ma lettre tant je souffre. Cependant, je ne veux pas qu’ilb soit dit que de méchantes coliques m’ont empêchée de te dire que tu étais ma joie, mon bonheur et ma vie. Je leur tire la langue et je t’embrasse malgré elles en pensée et en désir depuis la tête jusqu’aux pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 293-294
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « pense ».
b) « qui ».


27 octobre [1844], dimanche soir, 5 h. ¼

Je viens de voir Mme Luthereau, mon cher petit bien-aimé, elle te remercie du fond du cœur de l’intérêt que tu prends à son fils. Elle le verra ce soir et elle lui dira d’aller chez Trébuchet le plus tôt possible. Quant à son mari, il travaille plus que jamais. Du reste, M. de Férol a été ravi de la lettre de sa filleule. Voilà, mon cher bijou, tout ce qu’elle m’a dit en une demi-heure qu’elle est restée avec moi. Elle viendra dîner dimanche prochain chez moi pour se trouver avec Claire.
Cher adoré, je ne veux pas que tu croies que je tiens à ces misérables chiffons que j’ai acheté à ton intention (pour tes manuscrits). Est-ce que tout ce que j’ai n’est pas à toi ? Comment, je tiendrais plus à des haillons quelconques qu’à ma vie, qu’à mon âme que je tea donne toute entière ! Cela n’est pas croyable et je ne veux pas que tu fasses semblant de le croire. Tu auras des pantoufles de veloursb. Seulement, je voudrais les relever par une broderie. Clairette serait la plus heureuse fille du monde de mettre son talent à tes pieds et je voudrais profiter de l’occasion qui se présente. Cher petit homme adoré, je t’aime, n’oubliec jamais cela, entends-tu ?
J’ai montré mes belles étrennes à Mme Luthereau, elle en a été éblouie. Je le crois fichtre bien. Et moi aussi j’en suis éblouie. Je voudrais le dire à tout l’univers. Pauvre bien-aimé adoré, tu ne sauras jamais combien je t’aime. Je baise tes pieds, tes mains, tes yeux, ta bouche, ton âme. Je voudrais me fondre en toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 295-296
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « te la ».
b) « velour ».
c) « oublies ».

Notes

[1Imitation de l’accent allemand.

[2Hugo y est régulièrement invité par le roi Louis-Philippe.

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