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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 juin 1837

26 juin [1837], lundi matin, 9 h. ½

Tu as été bien bon et bien généreux hier en me pardonnant mon absurde conduite. C’est d’autant plus bon à toi que je n’ai pas encore pu me pardonner à moi-même tant je me trouve ingrate et méchante envers toi. Cependant je t’aime, cependant je donnerais tout ce que j’ai et ma vie avec pour toi. Mais aussi comme affreuse compensation il y a ma jalousie qui dénature tous ces bons sentiments. Plus je fais un retour sur moi-même, et plus je te trouve généreux de m’avoir pardonnée. Cependant je sens bien qu’il doit te rester, comme à moi, l’impression que je suis une méchante femme, un mauvais cœur, et une bête par-dessus le marché. Car l’amour aussi bien que la jalousie, poussés au point que je les sens, abrutissent complètementa. Je te remercie de m’avoir pardonnée encore une fois. Quantb à moi, je me garde une fameuse rancune qui n’est pas près de finir. J’ai à cœur de me guérir de cette ignoble maladie, la jalousie, dussé-je enlever dans cette opération le meilleur de mon amour. Je le ferai pour te rendre le calme et la tranquillité dont tu as tant besoin. D’ailleurs, mon pauvre ange, moi seule m’apercevraic de ce nettoyage douloureux. Il me restera toujours plus d’amour que tu n’en voudras et qu’il ne t’en faut. J’ai bien besoin de t’embrasser et de lire ton beau livre qui me fera bien souffrir, j’en suis sûre [1].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 337-338
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « complettement ».
b) « quand ».
c) « m’appercevrai ».


26 juin [1837], samedi soir, 8 h.

Je voulais ne pas t’écrire ce soir, mon cher bien-aimé, mais pensant que tu attribuerais mon silence à de la bouderie, je me suis forcée et je t’écris. De quoi et sur quoi, c’est ce que je ne saurais dire, attendu que tout est mêlé aussi bien dans mon cœur que dans ma tête. Je ne distingue pas un seul sentiment, je les sens tous ensemble. Je ne te dirai pas une souffrance, j’en sens mille à la fois, et dans les parties les plus sensibles de mon âme. Je ne me plaindrai pas, car je n’ai de voix que pour la louange et l’admiration. Je ne me dirai pas jalouse d’une seule personne, je suis jalouse de toutes, même de moi quand elle sert de prétexte à des sublimes vers que tout le monde doit lire à genoux. Je ne ferai pas une seule réflexion, elles se sont toutes fondues en lisant l’admirable livre [2]. Si bien que si je parlais ce serait avec tes paroles, parce que je pense, je sens et je vis de ta pensée. Je suis bien malheureuse et bien heureuse. Je suis bien humiliée et bien fière. Je suis bien découragée et bien croyante. Je me sens mourir et vivre, et je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 339-3340
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Souchon]

Notes

[1Le lendemain doivent sortir Les Voix intérieures chez Renduel.

[2Les Voix intérieures, qui viennent de paraître chez Renduel.

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