4 juin 1837

4 juin [1837], dimanche matin, 9 h. ¼

Bonjour mon cher bien-aimé. Bonjour mon Toto adoré. Vous avez tenu trop fidèlement votre promesse. Vous avez travaillé toute la nuit et vous n’êtes pas venu voir votre pauvre petite Juju qui était pourtant comme une petite duchesse [1] dans un lit bien blanc avec une âme bien blanche et un cœur plein d’amour. Il est vrai qu’à l’exception des draps blancs, vous trouvez en moi le même état de chose quelque jour et à quelqu’heure que vous veniez. Il fait un temps ravissant aujourd’hui, mais je n’ose pas espérer que vous viendrez me prendre pour sortir. Et je ne vous en veux pas, mon cher petit homme. Je sais que vous travaillez. Jour mon Toto. Jour mon gros to. Jour mon petit homme chéri. Je me suis levée de bonne heure aujourd’hui. C’est votre faute. Jour mon To, jour. Jour je vous aime. Oui je t’aime mon beau petit homme. Je t’aime. C’est bien vrai, c’est bien doux aussi. Vous êtes un méchant de ne m’avoir pas permis de fourrer le nez dans vos épreuves, car après vous c’est ce que je désire le plus voir et connaître. Vous êtes un méchant. Heureusement qu’il n’y a plus très longtemps à attendre [2]. Si vous arrivez le 15 de ce mois comme vous vous l’êtes promis, peut-être qu’alors je vous verrai plus souvent. Quand dites-vous [3] ? Et plus longtemps aussi, n’est-ce pas mon pauvre amour ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 259-260
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

4 juin [1837], dimanche soir, 8 h. ½

J’aime bien mieux, mon cher petit homme, quand je ne peux pas être avec toi, t’écrire et être seule avec ta pensée. Je te le dis bien du fond du cœur, mon cher adoré, parce que c’est bien vrai, j’aime mieux être seule que d’aller au théâtre ou d’être obligée de faire une espèce de conversation tandis que toutes mes pensées sont avec toi. Pauvre chère âme, vous aviez l’air bien préoccupé aujourd’hui malgré les efforts que vous faisiez pour me faire croire que vous vous aperceviez^a de ma présence. Il est impossible que je vous en veuille, malgré tout le désir que j’en aurais, quand je vous sais accablé de besogne. Je ne sais même pas comment vous pouvez venir à bout d’être tout à la fois le poète le plus fécond et le plus grand de tous les temps, et l’homme le plus ravissant et le plus charmant qui soit sous la calotte du ciel et même de Jujulina, car pour peu que vous continuiez à faire le Don Juan avec toutes les grisettes de mon quartier, je serai forcée, pour arrêter votre enthousiasme, de faire pleuvoir sur vous une quantité innombrable DE CALOTTES [4] DE TOUTES LES COULEURS. C’est la seule digue que j’opposerai désormais au torrent dévastateur de votre regard. C’EST DIT. Je vous aime mon cher petit Toto, je vous aime de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 261-262
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « apperceviez ».