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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 mai 1837

17 mai [1837], mercredi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon beau garçon. Je n’essayerai pas de vous dire ce que m’ont fait éprouver vos beaux vers [1] car je suis bègue et ce malheureux vice de prononciation déforme et rend grotesques les plus belles comme les plus tendres choses qui passenta par là. Je me tairai donc, mon cher adoré, du moins extérieurement car au-dedans de moi, j’ai une belle voix pour chanter mon hymne d’amour, et un grand esprit pour admirer votre sublime poésie. Après avoir lu quatre fois vos beaux vers je me suis endormie et j’en ai rêvé toute la nuit. Enfin ce matin je m’en suis réveillée plus tôt par le besoin de les relire encore. Je les ai déjà appris. Oh ! je ne suis pas FEIGNANTE pour cette besogne-là. J’espère que vous ne trouverez rien à redire à cette copie. Je l’avais déjà dans le cœur et dans la tête avant de commencer et j’ai bien appliqué mes yeux sur les mots afin de ne rien omettre et de ne rien ajouter à votre orthographe, vieux ROMANTIQUE.
Il fait un temps renaissant. C’est aujourd’hui qu’il ferait bon dîner chez Passoir [2] pas ce soir. Toujours le même calembour, c’est bien monotone. À votre place j’en changerais, ne fût-ceb que pour prouver une grande variété dans l’espèce et une grande abondance d’esprit. Jour un petit o. Je vous aime de toutes mes forces. Je ne peux penser qu’à vous, je ne désire que vous, je ne vis qu’en vous. Vous devriez bien tâcher de me faire la part plus large. À peine si je vous vois. Je n’ai pas le temps d’en prendre tout mon pauvre petit sou [3]. Jour mon grand to. Jour je vous aime de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 177-178
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « passe ».
b) « fusse ».


17 mai [1837], mercredi matin, 11 h. ½

Oui, mon cher petit Toto, j’ai encore quelque chose à vous dire. Quelque chose que je n’oublie jamais et que je n’ai jamais achevé. Ce quelque chose-là c’est : je vous AIME.
Vous n’êtes pas venu ce matin et je me doute bien pourquoi. Vous aurez encore travailléa pour moi. C’est affreux et c’est charmant, c’est triste et c’est doux tout à la fois. Mais j’aimerais mieux vous savoir moins dévoué et plus soigneux de votre santé, plus avare de votre santé et plus prodigue de votre repos, car j’en aurais aussi ma part d’une autre façon et sous une autre forme bien charmantes. Quand donc serons-nous riches assez pour passer toutes les nuits ensemble !
Il fait un temps délicieux qui me fait venir l’eau à la bouche du voyage et le chagrin dans le cœur de ne pouvoir le faire. Hélas ! hélas ! et trois fois hélas !!!
Jour mon gros To. Jour mon petit homme. Je vous aime, allez. Je vous aime bien trop. Jour mon Toto.
Vous seriez bien gentil de venir me prendre pour faire un semblant de promenade avec vous. Je vous promets de ne pas ouvrir la bouche tout le temps que nous serons ensemble. Vous pourrez vous croire avec votre CANNE ou votre parapluie mais pas avec votre pauvre femme qui vous aime assez pour s’imposer le mutisme le plus complet pendant une demi-journée, heim ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 179-180
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « travaillez ».

Notes

[1Les jours précédents, Hugo a achevé « Sunt lacrymæ rerum » (le 15), « La Vache » (le 15) et « À une jeune femme » (le 16).

[2Restaurant à la mode, chantant et dansant. Situé rue du Faubourg du Temple, c’était le rendez-vous des acteurs et des auteurs du boulevard. On y mangeait bien et l’on y buvait souvent gratis, sous les berceaux.

[3Jeu de mots fondé sur l’expression « en avoir tout son soûl ».

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