27 avril 1849

27 avril [1849], vendredi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? J’ai fait un rêve si hideux toute la nuit que j’en suis malade ce matin. Heureusement que je ne crois pas au rêve et que je me fais un cas de conscience d’y ajouter foi car ceux-ci seraient de nature à m’effrayer beaucoup si j’y attachais la moindre importance. Rien que l’émotion de la nuit m’a donné une espèce de fièvre. Mais je te le répète cela ne sera rien surtout si tu vas bien et si tu m’aimes. Cher petit homme, as-tu un peu pensé à moi hier ? À quelle heure êtes-vous allé chez M^me de Girardin ? Quand êtes-vous revenu ? Qui y avez-vous vu et qu’est-ce que vous avez dit et fait ? Je suis curieuse de savoir tout cela. Il me semble que je serai mieux d’après le temps que vous aurez été absent et ce que vous avez fait, si vous avez pensé à moi et si vous m’avez été bien fidèle. Dépêchez-vous donc de venir me le dire et surtout dépêchez-vous d’être à ce soir car je vous attends avec mille tendres impatiences dont vous ne vous doutez plus depuis que vous êtes passé de l’état d’amoureux à celui d’homme politique, bête d’état s’il [en] fut et dont je vous croyais incapable. Il est vrai que vous étiez déjà académicien. Maintenant vous êtes républicain, c’est encore bien pire et je doute que vous puissiez tomber au-dessous. En attendant je vis, je vous aime et je rage. Cette trilogie n’est pas sans charme, témoin la soirée d’aujourd’hui, mais en revanche il y a bien des moments hideux, témoin tous ceux où je vous attends en vain.

Juliette

MVHP, MS a8196
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine