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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 avril 1849

10 avril [1849], mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon petit homme, bonjour, je vais bien et toi ? D’abord je ne veux pas que tu prennes le prétexte de mon sommeil pour ne pas venir tout à l’heure. Autrefois tu n’étais pas si scrupuleux et tu venais plusieurs fois dans la nuit sans autre motif que celui de te faire plaisir et à moi aussi. Maintenant le motif n’existe plus qu’à moitié mais ce n’est pas une raison pour que tu en abuses en ayant l’air de me donner pour de la sollicitude pour mon repos ce qui n’est qu’une indomptable indifférence de ta part. Ceci dit, je te supplie de ne me rien cacher de tes projets et de tes actions car rien ne me serait plus offensant et plus douloureux que cette manière d’agir envers moi. J’ai le droit d’être traitée par toi, comme une honnête femme par un honnête homme. Je veux que tu me dises tout ce qui touche à la dignité et aux intérêts de mon amour. Si tu ne m’aimes plus il faut avoir le courage de me le dire. Si tu en aimes une autre ton devoir esta de m’en avertir tout de suite. Je n’ai accepté la vie, comme tu l’as faite, qu’à cette condition. Si tu y manquais tu ferais une mauvaise action dont les conséquences te laisseraient des remords toute la vie. Je n’insiste pas davantage, mon bien-aimé, parce que je t’ai dit du fond du cœur et honnêtement ce que j’attends de toi et comment j’envisage ton devoir et mon droit [1]. Maintenant va à ce bal de Pierrots puisque tu crois dans ton intérêt électoral devoir donner ce gage de dévouement à la République…… des saltimbanques. Ton Toto me répondra de la sincérité et de la probité de ta conduite. Amuse-toi, mon bien-aimé, puisque ces choses t’amusent mais au nom de notre Saint amour passé ne me trompe pas.

Juliette

MLVH, 46-59LASVHR et V
Transcription de Gérard Pouchain et Anne Kieffer

a) « et ».


10 avril [1849], mardi matin, 10 h. ½

Je vais toujours bien, à la toux près, mon petit homme, aussi je m’apprête à vous conduire à votre assemblée nationale et cholérique [2]. Vous pensez qu’à moins d’être perclusea et tout à fait podagre, je ne renoncerai pas à ce pauvre petit trajet de bonheur que je fais tous les jours et sans lequel je ne vous verrais pas du tout. J’ai le cœur trop avide des dernières parcelles d’amour du vôtre pour risquer d’en perdre une seule sur les pavés de la rue. Je ne veux pas avoir à me reprocher un jour de n’avoir pas fait bonne et vigilante garde autour de mon trésor. Et si cette bonne fortune, d’être aimée de vous, vient à me manquer pendant le reste de ma vie ce sera vote faute et non la mienne. Il est convenu que vous allez à ce bal de pierrots pour y surveiller ce moignieau qu’on appelle Toto deux [3]. Tâchez, vous qui vous faites le gardien des autres, de ne pas laisser envoler de votre cœur ce doux oiseau d’amour que j’y ai mis. Déjà vous l’oubliez bien souvent et Dieu sait de quoi il se nourrit, le pauvre, et il serait fort excusable de chercher ailleurs une meilleure condition que la vôtre, si mon bonheur et ma vie n’étaient pas attachés à son aile. Donc je vous le recommande plus que jamais, prenez garde de laisser la cage ouverte, car, je vous le répète, mon amour adoré, mon bonheur et ma vie s’envoleraient avec lui. Maintenant allez à ce bal politique et amusez-vous y si vous pouvez. Les Justine Pilloyb [4] et les Cunégonde Martel [5] sont de bonnes constitutions avec lesquelles un représentant de 85 mille hommes peut polker avec grâce et dignité ? Voime, voime, vive la République !!!!!

Juliette

MLVH, D 217 LASVHR/VH
Transcription de Gérard Pouchain

a) « perclue ».
b) « Pilloi ».

Notes

[1Au-dessus de ce mot, Juliette Drouet signale un ajout dans la marge gauche de sa lettre : « Ton devoir et mon droit se confondaient autrefois dans un seul mot que nous prononcions tous les deux à la fois : amour. »

[2Selon le journal La Presse du 7 avril 1849, une vingtaine de membres de l’Assemblée sont atteints par le choléra. Plusieurs décès sont également à dénombrer.

[3Très certainement François-Victor Hugo.

[4Alice Ozy.

[5Juliette Drouet fait-elle ici allusion à Nathalie Martel, dite Nathalie ?

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