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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mars 1845

28 mars [1845], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon Victor. J’ai le cœur bien gros et pourtant je ne voudrais pas te laisser voir ma tristesse. Comment faire alors ? Ne pas t’écrire, mais le remède est pire que le mal ? Te raconter les ennuis de ma maison, mais tout importants qu’ils soient pour moi, ils ne valent pas la peine de t’être racontés quand j’ai tant d’autres choses à te dire. Je suis fort embarrassée car je souffre le martyre. Ces absences qui reviennent toujours frappera au même endroit du cœur m’y ont fait une plaie vive très douloureuse que je ne sais comment panser. Mon Victor, mon Victor, je suis bien à plaindre, va. Depuis hier j’ai une lettre de Mme Luthereau. Je ne l’ai pas ouverte. J’espère qu’elle ne contient rien de pressé. Je t’attendrai pour l’ouvrir. J’espère que tu viendras tantôt. Hélas ! le temps de baigner tes yeux en toute hâte et ce sera tout. Mon Dieu, mon Dieu, donnez-moi des forces pour tant souffrir. Il ne faudrait pas que je t’écrive dans des moments comme ceux-ci parce que je ne peux pas me retenir. Et d’un autre côté, je ne peux pas ne pas me plaindre même en paroles quand je souffre tout ce qu’une pauvre créature peut souffrir. Dieu sait si j’exagère. Mon Victor, je voudrais être morte pour nous deux. Ce serait ce qui pourrait nous arriver de plus heureux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 237-238
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « frappé ».


28 mars [1845], vendredi après-midi, 3 h. ¼

Je t’ai vu enfin, mon pauvre bien-aimé, je t’ai vu et tu viendras ce soir dîner avec moi. Cela me redonne du courage. Je n’en avais plus du tout de reste quand tu es arrivé. Je ne sais pas ce que je serais devenue le reste de la journée si tu n’étais pas venu avant ce soir. J’étais si triste et si profondément malheureuse ce matin que je n’ai pas pu essayer de manger. J’étais parfaitement à jeun quand tu es venu. Mais depuis que je t’ai vu et que je sais que tu dois dîner avec moi ce soir, l’appétit m’est revenu et j’ai mangé mes deux œufs sur le plat froids. Ce soir j’espère bien faire honneur à ton dîner. Je suis furieuse contre moi, mon Toto, j’ai oublié de te montrer la lettre de Mme Luthereau, de sorte que, si cette pauvre femme attend après une réponse, elle doit ne pas savoir ce que ce retard veut dire. Vraiment je crois que je perds la tête. Pas assez pourtant pour ne pas sentir qu’elle me fait un mal horrible aujourd’hui.
Tu ne m’apportes toujours rien à copier. Il paraît que les autres volumes ne sont pas pour moi ? Merci de la préférence, je m’en serais bien passée. Une autre fois, quand vous serez pressé et que vous ne saurez auquel entendre, ce sera à mon tour à faire la fière et à vous renvoyer à vos copistes supercoquentieuses [1]. En attendant, je reconnais que je suis horriblement crevée et vexée. Êtes-vous content monsieur  ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 239-240
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Supercoquentieux : « Magnifique, superbe » (Larousse).

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