20 février [1849], mardi-gras, 11 h. du soir
Je ne veux pas me coucher, mon doux bien-aimé, avant de t’avoir donné mon cœur et mon âme. Toute ma soirée laborieuse s’est passée à penser à toi et à repasser une à une toutes les douces heures de bonheur que tu m’as données pendant seize ans. J’aurais désiré, j’avais espéré que cet anniversaire serait moins solitaire et que tu pourrais me donner une partie de cette soirée, mais le bon Dieu et Robelin en ont décidé autrement. Il faut bien que je me résigne. Je veux que tu mettes à profit l’heureuse distraction qui s’offre à toi, je veux que tu mangesa bien, que ta charmante famille te fasse oublier toutes les fatigues et tous les soucis de la politique. Je veux encore que tu ne m’oublies pas et que tu me regrettes dans le moment où tu te sentiras le plus heureux. Moi, pendant ce temps-là, je vais continuer en rêve l’ardente préoccupationb de ma veille. Bonsoir, cher adoré, bonsoir, pense à notre mardi-gras d’il y a seize ans et ne t’endors pas avant de l’avoir salué au passage par une pensée bien tendre [1]. Demain quand je te verrai, je serai bien heureuse. Jusque-là, je ne peux être qu’une pauvre Juju soumise à sa destinée et adorant son Toto par-dessus son âme. Je baise tes chers petits pieds adorés pour les réchauffer. Bonsoir amour, dormez bien et aimez-moi encore mieux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16367, f. 15-16
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
[Pouchain]
a) « tu mange ».
b) « préocupation ».