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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 janvier [1845], mardi soir, 6 h. ¼

Je commence par te donner en pensée tous les baisers et toutes les caresses que je serais si heureuse de te donner, mon cher adoré, en nature. Pauvre bien-aimé, je pense que tu dois être horriblement fatigué. J’aurais voulu qu’on te fît porter à l’Institut du linge et de la flanelle pour te changer. Je crains que tu ne sois refroidi en sortant de cette lecture, en supposant que tu en sois sorti, car je pense qu’on aura dû te disputer le terrain pied à pied. Et pourtant, quel admirable discours [1] ! Si j’osais t’exprimer mon admiration, mon grand Victor, tu verrais que rien n’est perdu et que pour ne pas savoir te louer dignement, je ne perds pas pour cela une goutte de ton génie sublime. Il se passe en moi quelque chose d’analogue à ce que tu éprouves lorsque tu entends une symphonie de Beethovena. Tu l’admires et tu en jouis sans pouvoir en reproduire une seule note. La même chose m’arrive à moi chaque fois que je te lis et que je t’écoute, je suis au ciel, en extase et j’ai l’air d’une bûche stupide qui ne comprend rien de rien. Hier, par exemple, j’ai été la plus malheureuse des femmes tout le temps que tu as paru douter du bonheur que j’éprouvais à copier cet admirable discours. Si ta méprise s’était prolongée, je crois que j’aurais eu des convulsions de honte et de désespoir. Ce que j’ai souffert pendant ces quelques minutes, Dieu seul le sait.
Cher adoré bien-aimé, tu sais si je te désire, si j’ai besoin de te voir. Cela ne peut pas s’exprimer. Il n’y a que moi qui sacheb combien tu es désiré et attendu, mais il n’est que trop probable que je ne te verrai pas encore aujourd’hui. Je serai trop heureuse si tu peux penser à moi une pauvre petite fois, et si tu me regrettesc, et si tu m’aimes un peu. Je fais tout ce que je peux pour être raisonnable, c’est-à-dire pour être......... Te voilà, quel bonheur, mon Dieu. Hélas ! ce n’est que ma hideuse servante qui rentre et que je ne savais pas sortie. Cette fausse joie me fait sentir encore plus cruellement que tu n’es pas là et que je ne te verrai peut-être pas de toute la soirée. Je ne veux pas dire cela parce que cela me porterait malheur. Je veux, au contraire, te forcer à venir, à force d’amour, de tendresse, de désir et d’adoration.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, je vous aime, je vous adore et je ne suis pas aussi bête que vous le croyez. Et pour peu que vous y regardiez d’un peu près, très près, encore plus près, vous verrez même que je suis très spirituelle, voime, voime, c’est vrai. Que je vous voie ne pas le croire aveuglément et vous verrez si je ne vous arrache pas les yeux. En attendant, je vous baise depuis votre grand front jusqu’à vos chers petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 45-46
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « Bethoven ».
b) « saches ».
c) « tu me regrette ».

Notes

[1Victor Hugo prépare alors le discours de réception de Saint-Marc Girardin qu’il prononce le jeudi 16 janvier à l’Académie française.

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