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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 septembre [1848], jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon cher petit homme, toi que j’aime, bonjour, vous que je déteste, bonjour. Qu’est-ce qui vous donc a empêché de venir hier au soir ? Je n’ose pas m’avouer le véritable motif, mais quelle quea soit ma discrétion à cet égard, mon cœur ne s’y méprend pas et je suis triste jusque dans la moelle des os. Je voudrais prendre le dessus et opposer indifférence contre indifférence, mais je vous aime trop à fond pour pouvoir user de ce moyen curatif, aussi je me résigne à souffrir et à vous aimer jusqu’à la fin et tant qu’il plaira à Dieu et à vous de me faire souffrir et de vous faire aimer.
C’est aujourd’hui que je te fais porter ta cape et tes souliers, et que je m’informe de Dieppe. Je ne sais pas pourquoi j’ai une espèce de pressentiment que ce fameux TRAIN DE PLAISIR n’est qu’une atroce mystification. Cependant, je prendrai des renseignements tantôt, à défaut d’autre chose. Ce sera toujours AUTANT DE PRIS. Mon Victor adoré, j’ai commencé cette lettre sous l’impression de je ne sais quel amer découragement, mais je veux la finir avec une lueur d’espérance pour un prochain bonheur. C’est dans cette pensée que je te baise, que je [te] caresse et que je t’adore.

Juliette

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Transcription de Gérard Pouchain
[Barnett et Pouchain]

a) « quelque ».


7 septembre [1848], jeudi soir, 9 h.

Je ne t’ai pas attendu autant que je l’aurais voulu chez Mme Sauvageot parce que je craignais de la gêner et surtout parce que je n’avais aucune certitude de te voir. Je me suis dirigée avec ma servarde du côté de ta maison et de là au chemin de fer d’où j’ai transcrita l’affiche concernant les trains de Plaisir ENTIÈREMENT afin que tu puisses te rendre compte de la chose qui du reste ne me paraît pas faisable pour nous dans l’état où sont nos finances et pour si peu de temps. Je ne sais pas où Julie [1] a pris qu’on allait à Dieppe pour 4 s. par personne. Pour une arithméticienne de première classe, elle ne me paraît pas de première force sur les chiffres. De là, je suis allée rue de la Tour-d’Auvergne n° 39… absent, mais j’ai trouvé le n° 39 et je l’ai visité de fond en comble. Je pense que c’est bien l’appartement que tu dois prendre et dans lequel il y a des meubles ébouriffantsb en laque. Il me semble que ce sera encore un peu petit, à moins que les deux garçons ne couchent dans la même chambre. Du reste, l’appartement est on ne peut pas mieux distribué et de meilleurec apparence et la vue ne laisse rien à désirer. Puis enfin, je suis revenue chez moi en tirant le pied et en pilant du poivre plus que de raison. Je me suis déshabillée, j’ai dîné, j’ai recopiéd mon affiche lisiblement, j’ai vu ma grosse Julie, puis enfin je t’écris ces quelques lignes dans lesquelles, si j’osais, je mettrais bien de la tristesse, bien du découragement et bien de l’amertume. Cependant, si tu dois venir ce soir, ce n’est pas le moment de me désespérer et d’être méchante. Mais tu ne viendras pas, ce n’est que trop sûr et je peux me livrer sans contrainte à l’accès de mauvaise humeur et de chagrin contre lequel je me défends en vain. Mon Victor aimé, je suis bien malheureuse de vivre à deux lieues loin de toi, et pourvu que cela se prolonge encore longtemps [2]. Je suis capable d’en devenir folle, d’imbécilee que je suis. Je t’aime trop, c’est bien vrai mon Dieu.

Juliette

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/69
Transcription de Joëlle Roubine

a) « transcris ».
b) « ébourriffants ».
c) « meilleur ».
d) « recopier »
e) « imbécille ».

Notes

[1Sans doute Julie Rivière.

[2Hugo a déménagé dans le quartier Saint-Lazare, rue de l’Isly, après l’invasion de son appartement de la Place Royale (actuel Musée Victor Hugo de la Place des Vosges) par des révolutionnaires, et s’apprête à emménager rue de la Tour d’Auvergne. Juliette ira bientôt le rejoindre, en prenant un appartement rue Rodier, mais pour l’instant, elle habite toujours dans le Marais, rue Sainte-Anastase.

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