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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juillet [1848], vendredi soir, 6 h.

Quand je te dirais depuis le commencement de la journée jusqu’à la fin que je t’aime et que tu es mon amour, je ne te le dirais jamais assez au gré de mon cœur et de mon âme. Ainsi que nous en étions convenus, je suis revenue chez moi pour me peigner et me baigner. Mais auparavant je suis allée porter la lettre chez la penaillon. Je la lui ai lue dans le cas où elle n’aurait pas pu lire tout. La pauvre femme pleurait de reconnaissance et disait à chaque mot oh ! que M. Victor Hugo est bon. Et moi je répondais tout bas oh ! qu’il est adoré. Je suis rentrée chez moi. Pendant que je rangeais mes affaires, le brave petit tambour de la rue de la Roquette est venu avec sa fille et une jeune personne en larmes dont le père a été arrêté sur une dénonciation calomnieuse [1]. Tout ce que je peux te dire, c’est que cette jeune fille est parfaitement élevée, pleine de cœur et d’intelligence et qu’elle t’aurait intéressé. Elle est l’aînée de huit enfants, sa mère est prête d’accoucher et son père est malade de chagrin depuis son arrestation. Elle m’a expliqué tout cela en détails avec un accent de sincérité et de douleur qui me navrait. Je lui ai dit de s’informer du nom de la personne qui interrogerait son père et que je t’en parleraia d’ici là. Mais que je t’aime, mon Dieu autant que tu es bon, grand et sublime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 245-246
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « je t’en parlerait ».


14 juillet [1848], vendredi soir, 6 h. ½

Je ne t’ai pas dit la moitié de toutes les inquiétudes et de toute la reconnaissance de ces pauvres gens. Quand je te verrai, hélas ! Quand te verrai-je ? Je te dirai tout. En attendant je pense avec regret et chagrin que mon bain me coûte probablement le bonheur de te voir ce soir, c’est beaucoup trop cher. Une autre fois je resterai dans ma crasse plutôt que de me nettoyera à ce prix. Demain je serai à 11 h. à la Madeleine. Pourvu que tu puissesb venir ? Songe donc, il y aura vingt-quatre heures que je ne t’aurais pas vu ! C’est affreux. Mauditec soit cette dernière catastrophe qui nous a forcés de vivre à une lieue loin de l’autre [2] ? Qu’elle soit maudite et remaudite pour tout le mal qu’elle a fait à tout le monde et à moi en particulier. Pense à moi mon doux adoré, regrette-moi et aime-moi, tu n’auras pas affaire à une ingrate car je ne peux pas détacher ma pensée de toi. Je souffre de ton absence et je t’aime plus que de toutes mes forces. Ô si tu pouvais venir ce soir, quelle douce et ravissante surprise ! Mais cela n’est pas probable et presque pas possible. Je le sens et je n’en suis plus triste. Mon bien-aimé, mon Victor, mon généreux homme, mon grand poète, mon noble bien-aimé, mon divin adoré, je baise tes chers petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 247-248
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « netoyer ».
b) « tu puisse ».
c) « Maudit ».

Notes

[1Au lendemain des journées de Juin, Victor Hugo et un grand nombre de représentants du peuple entreprennent un véritable combat contre les arrestations de masse, les condamnations et déportations orchestrées par le général Cavaignac. Nommé vice-président d’une réunion de députés venus pour visiter les détenus de juin, Victor Hugo intervient durant le mois de juillet 1848 en faveur d’un grand nombre de prisonniers, menacés d’exécution ou de déportation.

[2Le 25 juin 1848, alors que la Capitale est la proie de terribles insurrections et que Victor Hugo tente une conciliation avec les insurgés, son appartement est envahi par des émeutiers. Si le logement n’a pas été saccagé, la porte cochère, elle, a été criblée de quatorze balles. Ces événements conduisent la famille Hugo à s’installer, le 1er juillet, rue de l’Isly.

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