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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 avril 1848

5 avril [1848], mercredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon petit homme, bonjour, mon adoré petit homme, comment vas-tu et comment m’aimes-tu ce matin ? Moi je vais autant bien que le permettent mes nombreuses indispositions et le plus coulant des rhumes de cerveau. Du reste je me modèle sur la belle saison et j’ai le visage plus bourgeonné que mon jardin. Pour peu que cela continue mon nez sera une vraie FLORE de nouvelles espèces et plus variée que celle des Alpes. De tout cela il résulte que je suis parfaitement hideuse mais que je t’aime encore plus parfaitement. On n’est pas parfait et je me contente de ces deux perfections en attendant mieux.
À propos, rendez-moi donc mon dessin avec votre genre de venir à 10 h. du soir quand je vous attends à cinq. Je me fiche du roi Jérôme, moi. Je suis républicaine, moi, je crie : À bas les aristocrates ! à la lanterne les pairs de France ! Moi, je crie : vive les bons sans-culottes. Moi je suis bonne patriote, moi, je ne peux pas me payer de la fichue raison que vous donnez à votre absence d’hier. Je suis flouée de mon dessin et je m’en mords les coudes de regrets. Reviens-y polisson et tu verras de quelle vignette je chaufferai ton illustration. En attendant je suis furieuse et vexée et il y a de quoi. Si j’osais je vous dirais toutes sortes d’horreurs mais je n’ose pas ma TIMIDITÉ s’y oppose. Baise-moi.

Juliette

MVH, 8062
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux


5 avril [1848], mercredi, midi ½

Où es-tu mon bien-aimé, pour que je t’envoie mon âme et tout ce qu’elle contient de tendresse et d’amour ? Jamais je n’ai tant ressentia le besoin d’être avec toi et le regret de cette séparation forcée qui devient de jour en jour plus longue et plus difficile à supporter. Et cependant rien ne peut me faire espérer un prochain et heureux changement à cet état de chose maussade et triste qui m’afflige et me décourage depuis si longtemps. Mon Victor bien-aimé, j’ai le cœur plein des plus douces et des plus tendres choses. D’où vient que je ne t’écris jamais que des doléances et des plaintes plus ou moins amères ? Cela tient évidemment à notre séparation à laquelle je n’ai jamais pu m’habituer. Je t’aime et je souffre et c’est la souffrance qui s’exprime le plus souvent et malgré moi. Je m’en repens et je t’en demande pardon. Je voudrais et ne devrais te montrerb que le côté satisfait et doux de mon âme et garder pour moi seule la tristesse et l’ennui. Tu as été admirablement bon hier, comme toujours. Du reste, et je ne m’étonne pas de ton succès auprès de tous ces vieux durs à cuire. J’en excepte ce bon V. [1] qui a été, lui aussi, bien bon et bien charitable. J’espère que le bon Dieu lui en tiendra compte dans ces trois pauvres enfants. Quant à toi, mon adoré, toutes les bénédictions ne suffiraient pas pour acquitter envers toi les dettes de reconnaissance contractées par tous ceux que tu as obligés. Tout le bonheur du monde serait insuffisant pour tout ce que mon cœur te souhaite.

Juliette

MVH, 8063
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « ressentie ».
b) « ne devrais ne te montrer ».

Notes

[1S’agit-il de M. Varin dont il est question dans la lettre du jeudi 6 janvier 1848, 9 h. du soir ?

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