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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 mars 1846

7 mars [1846], samedi matin, 9 h. 

Bonjour Toto, bonjour vous, bonjour toi comment allez-vous ce matin ? Moi je vais : demens qui nimbos et non imitabile fulmen AERE et CORNIPEDUM PULSU SIMULARET EQUORUMa [1]. ATTRAPÉ ! Fais m’en du comme ça du latin et tu iras au pays sans congé avec une pipe et des bas rouges [2]. Sais-tu que c’était bien bon de te reconduire comme ça hier au soir. Je ne sais pas pourquoi tu ne me donnes pas ce bonheur plus souvent, bonheur qui n’est pas sans regret, comme tous les bonheurs, mais qui vaut mieux que le calme plat de l’isolement et de la contemplation. Je suis allée chez ma Joséphine que j’ai trouvée toute seule, sa compagne [3] étant à la conférence à Saint-Paul. Suzanne est venue me chercher à neuf et demie et à 9 h. ¾ nous étions revenues à la maison. Je me suis couchée, j’ai lu jusqu’à onze heures et puis j’ai éteint la bougie plus par économie que par envie de dormir. Ce matin j’étais éveillée avant 7 h. , j’ai déjà donné audience à MON JARDINIER qui est allé chercher du terreau et qui me greffera mon prunier tantôt. Je prévois que je vais encore dépenserb beaucoup d’argent aujourd’hui. C’est indispensable mais ennuyeuxc. J’aimerais mieux avoir à en gagner et à t’en donner des masses. Ce serait beaucoup plus agréable. Qu’en dis-tu ? Cher adoré, mon petit Toto je te baise des millions de fois.

BnF, Mss, NAF 16362, f. 235-236
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « ere et cornipedum pulsu simulara te curum ».
b) « dépensé ».
c) « ennuieux ».


7 mars [1846], samedi soir, 7 h. 

Si tu ne dois pas revenir ce soir mon Toto, tu es bien féroce de n’être pas revenu jusqu’à l’heure de ton dîner. J’espère que tu me caches au contraire une douce surprise ce soir et que tu viendras malgré tes affaires avec Bernard de Rennes [4]. Tu m’as trouvée dans le jardin et dans le jardinage jusqu’au cou aujourd’hui. Cela n’a été fini qu’à la nuit fermée, je me suis débarbouillée en gros et à la hâte pour pouvoir t’embrasser sans te faire frémir si tu viens. Je veux croire que tu viendras pour ne pas me laisser aller à mes humeurs noires, je n’y suis que trop encline depuis la maladresse monstrueuse que j’ai eue tantôt en abîmant le beau cadre de ta ravissante petite médaille. Je me battrais à cœur joie dans des cas pareils si je pouvais. Avec ma manie de tout nettoyera, je suis archi-absurde et archi-ridiculeᵇ. J’ai bien besoin que tu viennes me pardonner et me consoler de cette nouvelle jocrisserie [5]. Ne manque pas de venir ce soir mon Victor bien-aimé, si tu ne veux pas que je sois trop punie d’une faute involontaire qui est due à ma maladresse seule et à mon cœur qui t’aime trop.

Juliette

Bnf, Mss, NAF 16362, f. 237-238
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « netoyer ».
b) « achie-absurde et archie-ridicule ».

Notes

[1Virgile, L’Enéide, Chant VI, v. 590 : « Fou qu’il était, prétendant simuler les nuages et l’inimitable foudre avec sa trompe d’airain et le battement des sabots de ses chevaux. »

[2À élucider.

[3Mlle Baucoul.

[4Louis Rose Désiré Bernard de Rennes est député du Morbihan.

[5Jocrisserie : bêtise.

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