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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 janvier [1846], jeudi soir, 4 h. ½

Je ne décolère pas, mon Toto, soit contre moi soit contre quelqu’un ou quelque chose. C’est une habitude aimable de mon charmant caractère. Dans ce moment je suis furieuse contre moi parce que je n’ai pas su faire ton eau à temps [1]. Je suis furieuse contre le brouillard ou la fumée, ou la vapeur, et probablement contre ces trois choses à la fois qui m’étouffent, m’aveuglent et m’étranglent. Sans plaisanterie je suis très gênée par la fumée qui emplit ma chambre et le reste du logis. Je pleure, je tousse, je n‘en peux plus. Il est évident qu’il y a des crevasses dans toutes ces vieilles masures de cheminées puisque la fumée a redoublé d’épaisseur et de puanteur depuis que le feu est allumé dans ma chambre. Tout n’est pas rose parce qu’on a un jardin dans Paris [2]. Si j’avais pu prévoir les inconvénients de cet appartement je ne l’aurais pas pris. Tu sais que ce n’est pas caprice chez moi car je suis restée neuf ans dans le même appartement qui, certes, n’était rien moins qu’agréable et commode. Je resterai dans celui-ci autant de temps qu’il le faudra, mais je n’en dirai pas moins mon opinion à l’endroit rez-de-chaussée de Paris. Ces sortes d’habitations ne sont tolérables et possibles qu’à la campagne avec une bonne exposition et le grand courant d’air. Dans les villes ce sont des bouges plus ou moins infects comme le mien. Voilà trois jours que j’étouffe à la lettre. Je croyais d’abord que c’était ma lampe mais je suis forcée de me rendre à l’évidence et de voir qu’elle n’y est pour rien. Dieu ! quelle stupide et vieille rabâcheuse je suis, comme si ce n’était déjà pas trop de te corner toutes ces histoires quand tu es là, sans encore te poursuivre de mes gribouillis jusque chez toi. Heureusement que tu as la ressource de les oublier. Je t’engage à en user ce soir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 23-24
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Victor Hugo souffrait de problèmes ophtalmologiques, et allait souvent baigner ses yeux chez Juliette.

[2Le 10 février 1845 Juliette déménage du 14 au 12 rue Sainte-Anastase. Elle possède un petit jardin à fleurs et à fruits.

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