Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1848 > Février > 2

2 février [1848], mercredi matin, 9 h.

Bonjour, mon doux petit homme, bonjour, mon amour adoré, bonjour. Tu vois ce qui arrive dès que je cesse de copier [1]. C’est à toi de ne pas me laisser manquer de cette ravissante besogne si tu tiens à ne pas me voir roupiller comme une vieille portière. Je te l’ai déjà dit bien des fois et je te le répète pour que tu fasses tout ton possible pour me donner à copier sans interruption. Sinona je pioncerai comme un vieux chien ce dont j’enragerai très fort. Autant que possible je voudrais te tenir tête tout le temps que tu passes chez moi à travailler mais pour cela je ne connais pas d’autre moyen que de te copier, avec et sans calembourb.
En attendant je vais prendre un bain dont j’ai grand besoin et puis je ferai toutes mes affaires pour être toute prêtec quand vous viendrez tantôt. Il est probable que j’irai demain chez le médecin. Il faudra que tu me dises quel jour il pourra venir pour cette auscultationd. Tu sais qu’il faudrait que ce fûte avant l’heure du dîner. Du reste j’ai passé cette époque presque sans souffrance. Si c’est au remède qu’il m’a donné qu’il faut l’attribuer je ne seraisf pas fâchée qu’il continuâtg sa cure jusqu’à parfaite guérison car rien ne m’est plus insupportable que l’espèce de douleur que je ressens au cœur et à l’omoplate gauche. Puisque tu m’aimes je veux vivre et bien vivre. Il me semble que je suis dans mon droit et vous ? Baisez-moi et taisez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 35-36
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « si non ».
b) « calembourg ».
c) « tout prête ».
d) « oscultation ».
e) « fut ».
f) « serai ».
g) « il continua ».


2 février [1848], mercredi après-midi, 1 h.

J’ai pris mon bain, mon Toto, c’est à vous maintenant à faire le reste. Vous êtes suffisamment averti et je ne me [sens  ?] pas obligée de vous envoyer une circulaire lithographique pour vous prévenir de ce grand événement et pour vous prier d’y ASSISTER.
Je vous dis que vous êtes mon grand tranche montagne et le plus célèbre des CAPONS [2]. Il fait un soleil à manger tout cru. On se croirait au mois de mai. Pour moi l’illusion serait complète si j’avais mon bras sous le vôtre et si nous étions en course dans un chemin quelconque. J’espère que d’ici là vous aurez fini votre Jean Tréjean [3]et je me promets de vous demander un rabibochage sterling pour l’affreuse saison que je viens de passer. Je serai très exigeante, je vous en préviens, et je voudrai de TOUT. Je ne vous ferai grâce de rien, vous pouvez y compter et vous préparer en conséquence dans ce moment-ci et je fais contre fortune bon cœur mais dans le fond j’enrage et je suis prête à vous sauter dessus avec griffes, bec et ongles cent fois par soirée. Si je me retiens c’est pour mieux vous dévorer le moment venu. Est-ce que tu as Chambre aujourd’hui ? Et dans ce cas-là est-ce que tu iras ? S’il en était ainsi j’irai au devant de toi si tu le permets. Voime, voime et si tu ne le permets pas j’irai encore plus. Voilà comme je suis et vous ? Et l’orchestre de l’Ambigu [4] ? Et Mlle Sara ? et Théophiline et Bourel et Masson et Mme Vatel ? et la duchesse CHOSE [5] ? et… Mais le papier me manque pour continuer cette intéressante nomenclature. J’aime mieux vous mordre et que cela finisse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 37-38
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Depuis 1845, Juliette Drouet copie le manuscrit de Jean Tréjean (futurs Misérables).

[2« Joueur rusé, fin et appliqué à prendre tous ses avantages. » (Littré)

[3Premier titre donné au manuscrit des Misères, futurs Misérables.

[4Orchestre du Théâtre de l’Ambigu-Comique. Cette salle de spectacle parisienne a été fondée en 1769 sur le boulevard du Temple par Nicolas Médart Audinot.

[5On ne sait de quelle duchesse Juliette Drouet est alors jalouse.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne