Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1847 > Décembre > 26

26 décembre [1847], dimanche matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon tout aimé, bonjour depuis un bout jusqu’à l’autre. Comment vont les coliques ? J’ai oublié de te donner hier un pot de gelée de pommes qu’Eugénie m’avait rapporté de Rouen et qui est encore entier. Ce soir je te le donnerai à moins que la mémoire ne me fourche comme hier.
Tu as paru désirera que je copie tout de suite ce que tu m’as donné à copier [1] ? S’il en est ainsi je laisserai de côté mes écritures personnelles et je m’empresserai de faire ta besogne. Du reste la mienne sera finie aujourd’hui pour sûr. Je tiens trop à votre pratique pour ne pas apporter toute la diligence et tout le soin possible à vous servir. Malheureusement ce beau zèle ne va pas plus loin, à mon grand regret, et cela ne m’empêche pas de vous être furieusement à charge et désagréable. Cependant il faut que je vous ennuie encore en vous disant que c’est après-demain le mois de Duval et ses étrennes. Que j’ai promis à ma nouvelle couturière de la payer mardi. Je m’enhardis à te dire cela de loin parce qu’au moins si cela te contrarie tu auras le temps de ne pas me le montrer. Je ne peux pas m’habituer à te voir mécontent pour n’importe quelle chose mais surtout pour ce qui regarde ma dépense personnelle. Cela me remue tout le corps et je ne sais pas quelle folie je ferais pour éviter l’ombre d’un reproche à ce sujet. Je sais bien, mon pauvre adoré, que cela tient à ta gêne momentanée et que personne n’est plus généreux et plus dévoué que toi. Mais ce que j’éprouve ne se raisonne pas. C’est une impression dont je ne suis pas la maîtresse et qui me fait redouter plus que tu ne peux l’imaginer la question dépense et argent. Ce n’est jamais qu’en me violentant et par explosion que je t’en parle et dans ces moments-là mon cœur bat comme si j’avais commis quelque mauvaise action. Ce n’est pas ta faute, mon adoré bien-aimé. Je le reconnais de toute mon âme, c’est la faute de ta bête de Juju.

BnF, Mss, NAF 16365, f. 302-303
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « désiré ».


26 décembre [1847], dimanche, midi ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour et presque bonsoir car dans un moment il fera nuit noire. Je viens de finir mes écritures pour l’année 1848. Maintenant je suis toutea à vous et à votre copie. Vous serez obligé de ne pas me laisser manquer d’ouvrage. Je vous préviens que je serai très exigeante. Je le pense en toute sûreté de conscience parce que vous n’y êtes pas très sensible. Je m’aperçois que j’ai pris mon papier à l’envers, malheureusement cela n’a pas la même signification que la chemise [2] aussi je trouve le procédé médiocre et je ne m’applaudis pas du tout. À force d’avoir tourné des feuillets depuis ce matin et d’avoir écrit sur chacun : date, Janvier, Février, 1848, Total etc., etc. je ne sais plus ce que je fais. Ma plume ne peut pas se dépêtrer de ces mots sacramentels : dépense, entretien de la maison, charbon, éclairage et autres etc. nombreux mais peu variés. J’ai besoin de me retremper un peu dans mon ménage et de me débarbouiller pour sortir de cette crasse de comptes et de totaux, ne pas lire Toto. Je me trouve très fatiguée pour avoir écrit pendant trois heures : on n’est pas plus mollasseb que cette Juju-là et vous êtes bien trop bon de ne pas lui donner sa tâche tous les jours sous les peines les plus dures et le pain le plus sec. Avec tout cela je suis horriblement en retard et rien n’est fait chez moi. S’il me venait des VISITES je ne saurais où les recevoir et comment me montrer à elles tant je suis hideuse et sale. Décidément le métier de bas-bleu ne me va pas. J’aime mieux celui de vous aimer tout bonnement. Cette spécialité est tout à fait dans mes moyens et je m’y tiens. Je laisse à Richi et à ceux qui savent assez écrire le métier d’écrivain public et privé et je vous embrasse envers et contre tous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 304-305
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « tout ».
b) « molasse ».

Notes

[1Juliette Drouet copie Jean Tréjean.

[2Dans les croyances populaires « mettre sa chemise à l’envers » est souvent signe d’un mauvais présage, annonce d’une mauvaise nouvelle. Le malheureusement qui accompagne la remarque de Juliette laisse supposer une autre interprétation qui reste à éclaircir.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne