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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 décembre [1847], vendredi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon sublime piocheur, bonjour, mon pauvre doux adoré, bonjour, comment vas-tu ce matin ? As-tu mieux dormi cette nuit que les autres ? Te sens-tu moins fatigué aujourd’hui qu’hier ? Pauvre être dévoué et résigné, tu as toutes les grandes et sublimes vertus des hommes et toutes les douces et saintes qualités des femmes. Tu es après le Christ l’homme le plus parfait qu’il y ait jamais eu. Je baise tes chers petits pieds froids et j’admire ton beau front rayonnant.
Quelle quea soit mon impatience de te voir, mon Toto, j’aime mieux que tu te reposes et que tu dormes chaudement dans ton lit. Je fais de grand cœur le sacrifice de ne te voir que tantôt pourvu qu’il serve à te reposer.
Je ne sais comment t’exprimer tout ce que j’ai éprouvé de poignantes douleurs et d’admiration passionnée pendant cette prodigieuse lecture. Il me semblait par moments que mon corps quittait la terre, ou plutôt que tu emportais mon âme à travers les terribles mondes de ton génie. Ma pensée suivait ta parole et tout ce que j’ai d’intelligence, de cœur et d’âme admirait, souffrait et priaitb selon que tes sublimes paroles tombaient de tes lèvres dans mon esprit. Ces choses-là ne se racontent pas, on les sent. Je regrette même de m’être laisséc aller à t’en parler. Je sens combien je suis au-dessous de mon moi intérieur et j’en rougis. J’ai le cœur d’une reine et l’ignorance d’une servante. D’un côté, par l’amour, je touche à ton génie, et de l’autre, par l’esprit, je donne la main à Suzanne. C’est bête.

Juliette

MVH, α 8021
Transcription de Nicole Savy

a) « Quelque ».
b) « admiraient, souffraient et priaient ».
c) « laissée ».


24 décembre [1847], vendredi midi

Tu as bien fait de ne pas venir, mon bien-aimé, si tu as employé ce temps-là à te reposer. Maintenant tu feras bien de venir le plus tôt que tu pourras parce que ça m’est une joie de te savoir auprès de moi et de pouvoir caresser toute ta chère petite personne de l’âme et du regard. J’espère que tu vas bien et que ton excessive lassitude d’hier est un peu calmée ? Je t’attends avec mon impatience habituelle, doublée de sollicitude, ce qui ne la ralentit pas, AU CONTRAIRE.
J’ai voulu voir sur mon livre de dépense le prix du petit papier et je l’ai trouvé le même : 2 [F.  ?]. J’enverrai Suzanne tout à l’heure le chercher. Dans le cas où il n’y en aurait pas encore de prêt, j’en ferai prendre un cahier ou deux au chien [1] en attendant.
Mon Victor bien-aimé, mon orgueil, ma joie, mon bonheur, mon amour, je t’attends avec tout ce que j’ai de plus doux, de meilleur et de plus tendre dans le cœur. Je devance par la pensée le moment où je pourrai te voir pour t’envoyer toutes les caresses qui se pressent sur mes lèvres et dans mes yeux. Ne te fatigue pas trop, mon bien-aimé, et surtout ne sois pas triste. Tout ce qui t’inquiète maintenant n’est rien. Tu connais le proverbe : Il faut que jeunesse se passe. Et il vaut mieux à présent que plus tard parce qu’il n’en sera pas marqué [2]. C’est un peu de patience à avoir et beaucoup d’indulgence dont le fond est inépuisable chez toi. Et puis il faut m’aimer de toutes tes forces parce que je t’adore.

Juliette

MVH, α 8022
Transcription de Nicole Savy

Notes

[1Dans une lettre du 6 août précédent, au matin, Juliette se plaignait d’un nouveau papier portant un chien en filigrane, ce qu’elle ne jugeait pas du meilleur goût.

[2Il s’agit des chagrins d’amour de Charles Hugo. Ce que Juliette ignore, c’est que la belle comédienne Alice Ozy a quitté Charles pour Victor, le fils pour le père.

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