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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 décembre [1847], jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Victor adoré, bonjour, mon Toto, bonjour mon amour. Je ne veux pas que tu te préoccupesa de mes roupilleries. Laisse-moi m’en tirer comme je veux et ne te fais pas de cette stupide mécanique une affaire et un souci. C’est bien assez, c’est bien trop déjà mon Dieu de ton travail sans ajouter mes somnambuleries. Ainsi je vous défends absolument de vous en mêler, si ce n’est pour me donner de quoi m’empêcher de dormir, c’est-à-dire de la copie. Autrement taisez-vous et laissez-moi pioncer à ma guise.
Je te promets, mon cher petit bien-aimé, d’être bien raisonnable et bien courageuse tantôt. Ne suis-je pas forte de ton amour ? N’est-ce pas lui qui m’a soutenue dans l’affreux malheur qui m’a frappée [1] ? Sans lui je n’aurais pas pris la peine de lutter contre mon désespoir. Tout ce que j’ai de résignation, c’est à lui que je le dois. Tout ce que j’ai de bonheur, c’est toi qui me le donnes. Tout ce qui fait la vie douce, tout ce qui fait espérer, tout ce qui console et tout ce qui ravit c’est toi, toi seul qui me le donnes. Aussi je t’aime de tous les amours à la fois et je remets mon âme entre tes mains [2].
Je tenais à faire cette visite à M. le curé [3] avant la fin de l’année. Pense que depuis le jour de l’exhumation de cette pauvre enfant [4] je n’y suis pas allée. Voici une époque à laquelle on a coutume de s’acquitter de tous les devoirs de politesse et de reconnaissance et j’en profite pour remercier du fond du cœur cet excellent homme de tout ce qu’il a fait pour mon enfant et pour moi.
Je t’aime mon Victor.

Juliette

MVH, α 8015
Transcription de Nicole Savy

a) « préocupe ».


16 décembre [1847], jeudi midi

Le meilleur moyen pour moi, mon bien-aimé, de prendre du courage pour cette douloureuse visite, c’est de penser à toi, de t’aimer et de te le dire. C’est pour cela que je ne veux pas partir avant de t’avoir écrit. J’aurais voulu ne pas m’en aller avant de t’avoir vu, mais je n’aurais pas eu le temps d’aller à Saint-Mandé dans l’intervalle de t’aller chercher chez Mlle Féau. Il a donc fallu que je renonce à te voir une minute, à mon grand regret, pour remplir ce pieux devoir de reconnaissance que je dois à M. le curé. Peut-être ne le trouverai-je pas car je sais qu’il vient assez souvent à Paris, mais j’aurai fait ce que j’aurai dû pour lui prouver que je n’oublie pas tout ce qu’il a fait pour moi.
Je n’ai pas pu te parler de nos affaires hier et peut-être ne le pourrai-je pas encore aujourd’hui. Je prends le parti de t’écrire où j’en suis. J’avais 90 F. dans le sac mais Mme Sauvageot m’ayant fait prier par sa fille de lui donner un acompte, je lui ai donné 25 F. J’ai deux reconnaissances à renouvelera aujourd’hui, dont le capital s’élève à 170 F. J’ai pris pour cela 15 F. à Suzanne à qui je dois déjà 45 F. Dans deux jours j’aurai son mois à payer. Tu vois, mon Toto, où j’en suis de mes finances. Je t’en préviens pour ne pas te surprendre brusquement par des chiffres effrayants.
Maintenant que je t’ai tout dit, je te baise, je t’aime et j’attends tantôt avec impatience. Mon Toto bien-aimé je vous adore, je pense à vous et je tâche de n’être pas triste. Victor tu es ma force et mon bonheur.

Juliette

MVH, α 8016
Transcription de Nicole Savy

a) « renouveller ».

Notes

[1La mort de sa fille Claire Pradier, le 21 juin 1846.

[2Citation de l’évangile selon Luc, XXIII-46.

[3Le curé de Saint-Mandé.

[4Claire avait d’abord été inhumée à Auteuil, puis après la découverte de ses dernières volontés transférée à Saint-Mandé, le 11 juillet 1846.

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