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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 mars 1848

19 mars [1848], dimanche matin, 9 h. 

Bonjour, mon Toto, bonjour mon cher petit bastringueur, bonjour. Quoique je vous aie attendu hier au soir jusqu’à onze heures et demie, et que je me sois endormie tout en grognant je vous pardonne de n’être pas venu me voir et même je vous en remercie parce que vous auriez pu vous enrhumer. Qu’avez-vous fait à ce bal ? Voyons, ne mentez pas. À quelle heure êtes-vous revenu ? À quelle Nathalie avez-vous fait les yeux doux ? Quelle Madame Chaumontel avez-vous promenée ? Racontez-moi sans réticences vos bonnes fortunes de cette nuit, je suis femme à en être très FIÈRE et très HEUREUSE. Voime, voime, je sens déjà mes cornes qui en tressaillent de joie. Et votre Toto a-t-il placé toutes ses polkas avec avantage ? Où en est-t-il de ses conquêtes ? Vous me direz tout cela je l’espère quand je vous verrai. Tâchez que ce soit bientôta. D’ici là je vais imaginer bien des choses et ajouter bien des boutures à ma végétation phénoménale d’hier. Je vous assure que quels queb soient vos succès d’hier mon imagination ne restera pas au-dessous. Cela ne m’empêche pas d’avoir moins de chemises que jamais. Il n’y a pas d’imagination qui suppléec à cette feuille de vigne de la civilisation moderne, le Journal des débats [1] lui-même, dont Chodruc-Duclos voilait ses nudités, serait insuffisante pour mettre ma décence à l’abri des sergents de ville et de campagne de la République française. Pensez-y et ne répondez pas par des mots qui sont de véritables calamités.

Juliette

MVH, 9030
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « bien tôt ».
b) « quelque ».
c) « supléé ».


19 mars [1848], dimanche après-midi, 1 h.

Je t’attends, mon cher petit homme, mais ce n’est pas une raison pour que tu viennes plus tôt. Je me le dis pour t’excuser et pour trouver un prétexte à patience mais je n’aboutis qu’à te désirer davantage et à trouver le temps mortellement long loin de toi. Cependant ce n’est pas l’occupation matérielle qui me manque témoin mes chemises Danaïdes que l’aiguille et le fil déchirent au lieu de raccommoder. Mais tous ces amusements sont si ennuyeux que j’aimerais mieux des chemises neuves et beaucoup plus de Toto dans mes épinards. Je ne m’en cache pas même devant la sainte République. Je profite de la liberté, de l’égalité et de la fraternité du moment pour mettre mon corps et mon cœur à nus. Que ceux qui ne seront pas SATISFAITS me donnent de quoi changer de mode : je ne demande pas mieux seulement qu’on se hâte parce que l’habitude une fois prise je ne pourrais peut-être plus en changer. Mon Toto bien aimé, je fais de nécessité vertu et je ris pour ne pas pleurer mais au fond je bisque, je rage et je n’ai pas encore pris mon parti sur votre soirée d’hier. Il me semble que vous auriez bien pu vous dispenser d’aller à ce bal puisque vous donniez votre argent [2]. Je crois que vous avez une autre raison que la BIENFAISANCE pour assister à ce bastringue. Si je déraisonne tant mieux. Baisez-moi alors et venez tout de suite.

Juliette

MVH, 9031
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

Notes

[1Quotidien, créé en 1789, qui renferme le procès-verbal des débats de l’Assemblée nationale. Depuis 1842, il est dirigé par Armand Bertin.

[2La veille, Victor Hugo s’est rendu au bal donné par la Société de Petit-Bourg, dont il deviendra le président le 28 mai 1848.

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