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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 août [1847], mardi matin, 7 h. ¾

Bonjour, mon bien-aimé Toto, bonjour, tu sais cette phrase par cœur et toutes celles que je t’écris depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre puisque mon génie inventif n’a pas encore trouvé depuis bientôt quinze ans une variante à cette éternelle ritournelle. Bonjour donc plus que jamais mon ravissant petit Toto et amour à mort.
Qu’est-ce que j’apprends, vilain monstre, vous avez donné la clef de mon jardin à Fouyou cette nuit ? Pour le coup je reprends toutes mes tendresses et je vous donne à la place mes malédictions ainsi qu’à lui, Fouyou. Il faut que vous soyez bien pair de France, décidément, pour croire qu’une femme, oui, Mamzelle Chichi [1], après avoir sarclé, biné, pioché avec Duval, après s’être fait un jardin d’un cloaque, du haut de ce jardin si sublime et si doux peut sans frémir d’horreur le livrer à Fouyou. Le monstre, il va du crime au vice. Laisse-moi mon jardin, mes oignons, mes narcisses. Ou donne-moi à la place la terrasse de Saint-Germain, c’est bien le moins, en attendant lézée, lézée, lézée et parfaitement lézée [2] et je n’ai pas comme Mme Triger l’héritage de la grand-mère pour compensation. Vraiment c’est bien indélicat ce que vous avez fait là et je suis bien peu FLATTÉE de vous avoir pour CONNAISSANCE. Taisez-vous car cela fait frémir probablement.

Juliette

MVH, α 7967
Transcription de Nicole Savy


24 août [1847], mardi, midi ½

Si tu fais ta course à la barrière de l’Hôpital aujourd’hui, j’espère que tu voudras bien m’emmener mon Toto ? Hier ça n’était guère possible avec les torrents qui tombaient mais à présent le temps s’est humanisé et l’on peut se risquer sans crainte d’être submergéa. Je m’apprête dans cette intention, nous verrons si j’en serai pour mes préparatifs. En attendant j’ai envoyé changer mon sucre tout à l’heure. On ab protesté, cela va sans dire, de la candeur de ce sucre. Quant à moi je ne demande pas mieux que de croire à la doyenneté de probité de ce pauvre épicier, mais pourtant ce sucre paraissait bien fin pour n’être pas frelaté. Toujours est-il que j’en ai de tamisé et de moins farineux, c’est tout ce qu’il me faut et je m’empresse de leur donner un brevet de probité et même de sucre Montyon [3] si cela peut les obliger.
J’ai reçu une lettre de ce pauvre bonhomme de Crest, du moins je le suppose. Je voudrais bien que tu puissesc faire quelque chose pour ce pauvre homme qui a 21 ans de service, trois enfants et une femme malade, et que la perte de sa place réduirait à la plus profonde misère. Cher bien-aimé, il faut que je connaisse bien ton ineffable et inépuisable bonté pour la mettre si souvent à contribution. Mais je sais que tu es le meilleur des hommes et j’en abused sans crainte de te lasser jamais. Et puis je t’aime, je t’adore.

Juliette

MVH, α 7968
Transcription de Nicole Savy

a) « sumergé ».
b) « On n’a protesté… ».
c) « pusses ».
d) « abuses ».

Notes

[1Personnage déjà évoqué dans une lettre du 13 mars précédent.

[2Formule comiquement répétée par Mme Triger et déjà reprise et imitée, avec la même orthographe, dans une lettre du 22 mars précédent.

[3Le prix Montyon était un prix de vertu décerné tous les ans.

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