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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 février [1843], mercredi matin, 9 h.

Voici une heure que je prie le bon Dieu pour toi, pour ta famille et pour ta chère petite bien-aimée fille, mon Toto ; j’espère que mes prières se seront unies aux vôtres dans ce moment si solennel et si décisif de la vie de votre chère enfant [1].
Je crois que je n’ai pas dormi deux heures dans toute la nuit, tant la pensée de ton enfant et de toi, mon adoré, m’a agitée. Je pensais combien tu allais être triste après cette journée de fête et je regrettais de n’être pas assez tout pour toi pour combler le vide que l’absence de ta fille va faire dans ta vie. Il n’est pas d’événement, pas d’incident de ta vie, les plus insignifiants comme les plus importants, qui ne me rappellent combien je suis peu de chose pour toi et combien tu es tout pour moi. Aujourd’hui plus que jamais cette triste vérité m’est démontrée. Je ne t’en veux pas, mon cher bien-aimé, je sens que cela ne peut pas être autrement et cela ne m’empêche pas de t’aimer de toute mon âme.
Je n’ose pas espérer que tu trouveras une minute pour venir ce matin. Ce sera beaucoup, et je serai très heureuse, si tu peux venir dans la journée un moment. Je tâcherai, mon Toto, de me faire une espèce de raison mais cela ne m’empêchera pas de trouver le temps long. Pense à moi, si tu peux mon Toto, plains-moi et aime-moi, je le mérite bien.
Il fait un temps charmant. C’est d’un bon augure pour le bonheur de cette chère petite Madame. J’aurais donné tout au monde pour la voir dans son costume de mariée. Mais hélas ! je n’ai même pas osé te parler de ce désir-là dans la certitude de me voir refusée, ce qui aurait ajouté un chagrin à une privation.
J’ai renfoncé mon envie et je me suis contentée de prier le bon Dieu pour elle avec la ferveur et le cœur d’une mère. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 147-148
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin, Blewer]


15 février [1843], mercredi, 2 h. ¼

Je suis encore au lit, mon adoré, d’où je t’écris, pour te dire que je t’aime et que depuis ce matin je fais un travail de romaine parmi les hideux grimoires des créanciers, d’où il résulte que : Mignon sera payé en juillet prochain, que Lafabrègue l’est et me redoit même huit francs à moins d’erreur, ce que je ne crois pas. Je viens d’ailleurs d’envoyer chez lui la liste des acomptes et des reçus avec leur date ainsi que le montant du dernier mémoire arrêté entre nous. Quant à Mme Guérard, je viens de la prévenir par lettre qu’elle ait à venir arrêter son compte définitivement avec moi. Voilà où j’en suis de mes recherches, ce qui n’est pas une petite, ni une agréable besogne, je t’assure. Toi, pendant ce temps-là, tu fais des heureux et tu tâchesa de l’être chemin faisant. Tu vois que nos deux occupations ne se ressemblent pas.
J’ai écrit à ma fille et j’ai eu le courage de lui demander où en était l’affaire de Mlle Hureau et je lui ai dit que tu avais rencontré M. Debelleyme [2]. Tu vois jusqu’où va ma confiance en toi et ma docilité. J’espère n’être pas trop criminelle. Je lui ai appris en même temps le mariage de Didine. Il n’y a plus d’inconvénient, maintenant, à ce que la chose soit ébruitée.
Pauvre Didine, pauvre Madame, où en est-elle maintenant ? Et surtout, où en es-tu toi mon adoré qui avaisb mis tant de joie et tant de bonheur dans la présence de ton enfant ? Tu ne sens encore rien heureusement. Tu es dans le tourbillon des compliments et dans l’enivrement communicatif des jeunes mariés. Ne m’oublie pas et pense qu’il y a dix ans, c’était notre tour d’être heureux et enivrés l’un de l’autre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 149-150
Transcription de Olivia Paploray, assistée de Florence Naugrette

a) « tâche ».
b) « avait ».

Notes

[115 février 1843 : jour du mariage religieux de Léopoldine et Charles Vacquerie. Le mariage civil a eu lieu la veille.

[2Mlle Hureau, maîtresse de Claire, est en conflit avec la directrice de la pension, Mme Devilliers. Elle entreprend des démarches judiciaires et administratives pour faire valoir ses droits, et songe à s’installer à son compte.

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