4 octobre 1856

Guernesey, 4 octobre 1856, samedi soir, 5 h.

Je ne veux pas que la journée s’achève, mon bien-aimé, sans te donner mon âme sous la forme restitus. Depuis hier, je suis agacée et maussade sans trop savoir pourquoi car je ne peux pas mettre sur le compte de ce stupide incident de paquet et de Kesler l’espèce d’état nerveux et grimaud dans lequel je suis. Il faut que la cause en soit autre part et peut-être même serait-il juste de l’attribuer à l’influence du mauvais temps. C’est ce que je fais pour toute explication et pour toute justification. Du reste, il me semble que ma sérénité revient avec l’éclaircie qui se fait au ciel dans ce moment-ci. Je te remercie, mon bon petit homme, de ta gracieuse générosité, mais je t’assure que ton ineffable bonté me suffit et que si tu crois que ces deux petites babioles sentimentales peuvent plaire à ta femme et à ta fille, je serai très heureuse de te les rendre. Ainsi, ne te gêne pas pour me les reprendre, cela ne m’empêchera pas de remercier pour mon compte la dame aux pantoufles^a de velours^b et au portefeuille brodé. Pourvu que tu ne donnes^c dans son GAUDENS [1] qu’à cette distance et sous les deux espèces que je connais déjà, je te permets de t’emparer et de te parer de mon cadeau et du tien sans aucun regret ni aucune jalousie de ma part. En attendant, tu serais bien gentil de venir faire un peu de bleu, de jour et de bonheur dans mon pauvre cœur tout envahi par le noir, la brume et la tristesse. Je t’attends et surtout je t’aime de toutes mes forces.

J.

Bnf, Mss, NAF 16377, f. 243
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

a) « pantouffles ».
b) « velour ».
c) « donne ».