23 juillet 1856

Guernesey, 23 juillet 1856, mercredi après-midi, 4 h.

Je ne te demande pas où tu es, mon cher adoré, car je sais d’avance que tu as beaucoup de choses, outre ton bain, à faire aujourd’hui. J’espère que tu n’attraperas^a pas de coup de soleil dans toutes ces allées et venues et que tu m’arriveras ce soir frais, gai, de bon appétit, content et heureux. En attendant, moi, je tire ma vie comme une charrette trop lourde, je sue sang et eau rien qu’en me croisant les bras et je n’ai de courage qu’à t’aimer. Mais aussi, je m’en acquitte en conscience et pire que si j’étais à la tâche. Ce soir, j’espère pourtant te demander de faire une bonne petite promenade à la fraîche. Pour cela, j’économise toutes mes jambes pour pouvoir prolonger le plus longtemps possible notre passus mille. Et puis je regarde du côté de ta maison, espérant que je t’y verrai mais jusqu’à présent, je n’ai pas encore eu cette chance. Mais quand j’aurai mon lucoot et que vous serez dans le vôtre, il faudra bien que vous vous montriez à votre peuple enthousiaste. Et à ce sujet, je te dirai que je ne demanderais pas mieux que de troquer ma lorgnette contre la tienne mais je crains la visite possible de la mère Luthereau à laquelle cela ferait de la peine probablement. Cependant, je ne renonce pas à ce libre échange car il me serait doux de mettre mes yeux dans ta lorgnette, il me semble qu’on doit y voir mieux qu’avec n’importe quelle autre. Aussi, je vais tâcher de trouver moyen de concilier mon fanatisme pour tout ce qui vous appartient et mes scrupules à l’endroit des cancans qu’on en fait.

Juliette

Bnf, Mss, NAF 16377, f. 199
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette

a) « attrapperas ».