7 août 1864

Guernesey, 7 août [18]64, dimanche, 4 h. du soir

Je suis bien stupide, mon pauvre bien-aimé, d’être malade à la veille de notre cher petit voyage. J’espère que la bousculade de la mer me guérira une bonne fois pour toutes et je crains en même temps de vous [enclouer  ?] dans quelque auberge par cette bête d’indisposition qui m’ôte tout courage. Ces deux alternatives de bien et de mal me font tantôt sourire et tantôt pleurer selon qu’elles m’agitent chacune à leur tour. Qu’est-ce que je deviendrai, mon Dieu s’il faut que je trouble par ma faute ton bonheur et celui de ton charmant petit Toto [1] ? Ce sera la première fois depuis que je t’aime que j’aurais peur de ce voyage tant désiré. Je voudrais être plus vieille de huit jours pour savoir comment je me comporte vis-à-vis de vous, mes chers aimés. En attendant je prends imperturbablement toutes les horribles drogues de Corbin pour n’avoir rien à me reprocher de ce côté-là. Si je pouvais être sûre que je n’attristerai pas votre voyage et que je ne serai pas trop maussade tout le temps qu’il durera, je crois que j’en guérirais de joie subito. Déjà cette pensée me redonne du cœur au ventre ; que je passe une bonne nuit et j’espère que je remonterai sur ma bête même avant notre départ. Cher adoré, je sens que je suis capable de tout pour te contenter ainsi que ton bon petit Toto. Je regrette de n’avoir pas pu prendre sur moi d’aller voir la pauvre M^me Marquand aujourd’hui. Mais j’étais vraiment trop souffrante. Demain si tu veux me conduire jusqu’à sa porte je lui ferai une courte visite pour ne pas la fatiguer. Mon adoré, je te bénis.

BnF Mss, NAF 16385, f. 209
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette