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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 octobre [1838], samedi après-midi, 1 h. ¼

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon adoré. Est-ce que vraiment notre bonheur de cette nuit vous a empêché de revenir ?
Si cela était, ce serait bien froid, et bien peu amoureux, et je n’aurais pas besoin d’autres preuves pour être sûre que vous m’aimez moins qu’autrefois, et que vous ne m’aimez plus même. Je ne ris pas du tout. C’est très sérieux ce que je vous dis là au saut du lit. Je me suis levée tard, parce que je me suis couchée tard, que j’ai mal à la tête, etc., etc. Il fait un temps ravissant ce matin mais je resterai chez moi, comme les jours où il pleut, et réciproquement.
Je vais écrire à Lanvin pour qu’il vienne s’entendre avec moi pour les plans du balcon. Ensuite je m’habillerai à tout événement, quoique je sache d’avance que ma réclusion absolue doit durer jusqu’à samedi prochain 3 novembre, 7 h. ½ du soir. Après je rentrerai dans mon foyer et dans ma captivité de plus belle, et en réitérant, sans me plaindre et sans murmurer [1], comme le soldat de M. Scribe.
Je voudrais bien vous voir mon petit homme, il y a si longtemps que je ne vous ai vu, depuis cette nuit, et quand je pense que vous auriez pu revenir, et que vous ne l’avez pas fait, cela met entre vous et moi un siècle de glace d’une montagne d’indifférence que tout mon amour a bien du mal à faire fondre et à franchir. Enfin me voilà avec mon âme dans mes yeux, mon amour sur les lèvres, et la joie et le bonheur dans vous. Voyez si vous voulez me donner les uns en échange des autres, votre amour pour de l’adoration, votre sourire pour des baisers sans nombre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 93-94
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette


27 octobre [1838], samedi soir, 6 h. ¾

Me voilà bien résignée mon adoré, et t’attendant avec amour, sinon avec patience.
J’ai un mal de tête Sterling, mais je le combats courageusement de toute la force de mon amour. Si tu peux me faire sortir ce soir ce sera très bien fait, car j’en ai vraiment bien besoin. Pense à moi mon Toto, même dans ton travail, même au milieu de tes gens d’affaires. Si tu le fais je le sentirai, et je souffrirai moins.
Je viens de faire, pour vous Monsieur, un cours de littérature culinaire et bourgeoise dans un livre du portier que vient de m’apporter Suzette. Ainsi on va vous servir une fameuse sauce ce soir, peut-être ce sera-t-il exécrable, mais Suzette tient à se signaler par une invasion dans La Cuisinière bourgeoise [2]. Je la laisse faire pour cette fois. J’ai bien mal à la tête mon adoré petit homme, je ne sais pas où la fourrer, c’est hideux. C’est une véritable infirmité que j’ai là. Tâche mon cher bien-aimé de ne pas me laisser trop longtemps en tête à tête avec moi-même car c’est peu amusant, surtout aujourd’hui.
Soir pa, soir man, papa est bien i. Je le baise au-dessus de ses beaux yeux pour ne pas les blesser, et puis je baise les petits pieds, les petites mains, la petite bouche avec toutes ses dents. Soir, aimez-moi bien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 95-96
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Dans Michel et Christine, comédie-vaudeville d’Eugène Scribe créée le 3 décembre 1821 au Gymnase dramatique, Stanislas chante, à la scène 14, sur l’air de « Je t’aimerai » : « Sans murmurer,/ Votre douleur amère / Frapp’rait mes yeux… plutôt tout endurer…/ Moi, j’y suis fait ; c’est mon sort ordinaire :/ Un vieux soldat sait souffrir et se taire/ Sans murmurer. »

[2Ce livre de cuisine paru en 1810 connut un immense succès.

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