24 juin 1873

Guernesey, 24 juin [18]73, mardi, 7 h. du matin

Cher bien-aimé, j’espère que tu dors encore et que tu vois passer mon âme dans tes rêves te souriant, t’adorant et te bénissant comme elle le fait en ce moment même où je te griffonne d’une main nerveuse toute l’admiration dont je suis éblouie depuis tes deux premières lectures. Que c’est beau ! Que c’est beau ! Que c’est donc beau ! Comme la pauvre paysanne à genoux devant Dieu qui disait pour toute prière : mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu !, de même je ne trouve pas d’autres mots que : c’est beau ! Que c’est beau ! Que c’est beau ! Ce n’est plus seulement une sublime transfiguration, c’est une divinisation auguste et sacrée. Je te dis tout cela comme je peux et dans la fièvre de l’éblouissement. Je n’ai pas dormi de la nuit, je n’ai pas dîné hier et je ne crois pas que je pourrai déjeuner tantôt. Mais je t’adore, ce qui remplace tout pour moi et vaut mieux que toutes les autres choses de la vie. Je baise tes pieds avec vénération.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 190
Transcription de Maggy Lecomte et Manon Da Costa assistées de Florence Naugrette