Guernesey 15 mai [18]73, jeudi matin, 8 h.
Est-ce encore bonne nuit, mon bien-aimé ? Bonne patte et bon amour aujourd’hui ? Alors vive la République ! Vive toi ! Vivent tous ceux que tu aimes et qui sont nécessaires à ton bonheur ! C’est avec cette pensée que je m’indulge et que je ménage mes vieilles douleurs pour durer le plus longtemps possible afin de ne pas trop t’attendre à la porte du paradis où j’arriverai avant toi. Ce mois de mai est beau mais raide. Les ouvriers prétendent que le vent en ce moment est plus froid que pendant les plus rudes hivers. Le fait est qu’il n’est pas tendre aux podagres de mon espèce.
Je t’envoie pour compléter ton déjeuner du jeudi des épinards sucrés et de la rhubarbe. Je te prie, en échange, de me donner de bonnes nouvelles de toi bien douces et bien tendres je les attends le cœur tout grand ouvert et tout âme dehors.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 139
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
Guernesey 15 mai [18]73, jeudi, 9 h. du m.
Môsieu,
Donnez l’exemple en passant devant. Ma vieille patraquerie fait cet honneur à votre jeune bobo. Ordonnez à votre patte de courir la prétentaine [1] et je vous promets de la suivre pas à pas, jusque dans les sentiers du vice ! Êtes-vous content, Môsieu ! Je reviens à mon mouton et à son pied. Il parait que tu lui as mis una emplâtre ? Il faut maintenant en attendre le bon effet qui ne tardera pas, je l’espère. Jusque là il faut te résigner à clopiner comme un simple mortel que tu n’es pas. Si j’osais, pour te faire prendre patience et mettre à mon profit ta séquestration forcée, je te prierais d’ajouter un autre chapitre de ton Quatrevingt-treizeb à mon ardente curiosité et à mon admiration éperdue. Mais je crains d’être indiscrète et d’avoir le sort d’un caniche égaré dans un jeu de quille. C’est égal je me risque, tant pis !
BnF, Mss, NAF 16394, f. 140
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
a) « une ».
b) « quatrevingt-treize ».