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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 juin 1838

10 juin [1838], dimanche après-midi, 2 h. ½

Vous voyez, mon Toto, que c’est bien bon de déjeuner avec sa Juju ? Pourquoi donc alors que vous vous faites-vous tant tirer l’oreille pour venir ? Je ne veux pas vous grogner ce matin parce qu’enfin ce n’est pas le jour où vous êtes très i qu’il faut vous grogner. Je vous aime. Vous avez de très jolis petits pieds que j’adore, vous avez de belles mains blanches que je baise et une admirable figure qui m’éblouit. Vous êtes mon Toto, ma divinité, mon Dieu. J’ai horriblement mal à la tête mais je suis heureuse. Si j’osais, je serais hideusement jalouse aujourd’hui car vous êtes scandaleusement beau mais je n’ose pas, c’est bien dommage. Jour mon To, jour mon petit o. Prenez garde de ne pas vous laisser détruire le moindre petit morceau de votre sublime carcasse sous peine de me voir me livrer à d’effroyables invectives contre votre maladresse et contre la providence qui se permet de tourner la tête à gauche quand vous êtes à droite et qui expose ce que j’ai de plus précieux, de plus ravissant et de plus adorable à être escarbouillé par un vil cabriolet. Je ris mais c’est très sérieux et je te prie de toute mon âme, mon Toto, de prendre garde à toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16334, f. 252-253
Transcription d’Armelle Baty, assistée de Gérard Pouchain


10 juin [1838], dimanche soir, 10 h. ½

Je suis seule, mon petit ami, et vous seriez bien charmant de venir. J’ai été bien attrapée a tantôt en voulant me dépêcher de monter l’escalier pour vous revoir dans la rue, je me suis tourné le pied de sorte qu’en arrivant à la fenêtre, vous n’y étiez plus, ce qui m’a vexée horriblement. Si vous êtes bien bon, mon Toto, vous me rabibocherez de ma perte de tantôt en venant tout de suite à présent. Je suis bien tourmentée de savoir à qui vous voulez plaire avec une si ravissante figure. Jamais depuis que je vous aime, vous n’avez été aussi beau qu’aujourd’hui. Je ne suis pas du tout tranquille et je vais mettre mes espions en campagne et gare à vous si vous êtes coupable de la moindre petite trahison. J’aurais voulu qu’il eût plu ce tantôt, cela vous aurait forcé à abriter vos castors et à me demander l’hospitalité d’une vieille paire de bottes ou de souliers. Malheureusement, j’en ai été quitte pour une fausse joie. Il n’a pas plu et vous n’êtes pas venu. Je vous aime trop, mon Toto, c’est pour cela que vous m’aimez si peu. Je vous aime, je vous aime et puis encore je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16334, f. 254-255
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain

a) « attrappée ».

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