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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 juillet [1846], jeudi après-midi, 4 h.

Vous êtes un fripon et un affreux filou pour lequel je n’ai pas la moindre estime. Vous avez l’air de venir dîner avec moi pour avoir le droit de vous en aller ce soir à ce spectacle [1]. Si vous croyez que je ne m’aperçois pas de vos malices cousues de fil blanc, vous vous trompez joliment ? Prenez garde que je n’aille surprendre vos yeux en coulisses, dans les coulisses et ailleurs. Vous savez si je suis capable de tout. Aussi, je vous conseille de vous bien méfier de la Juju ce soir, demain et toujours. En attendant, je vous attends. Tâchez de ne pas me faire attendre jusqu’à l’heure du dîner si vous tenez à vos yeux et au reste.
Cher adoré, je t’aime et je suis heureuse de dîner avec toi. C’est la première fois depuis plus de dix mois. Aussi, et quoique ce bonheur doive être bien tronqué à cause de ton spectacle, je suis contente et je t’en remercie du fond de mon pauvre cœur qui t’adore.
Le marchand laisse ses [illis.] à 8 h. mais je n’en suis pas tentée depuis que tu m’as fait ta petite grimace dédaigneuse. Le fait est que je ne les avais pas encore vus. Depuis, j’ai satisfait ma curiosité et j’avoue que je ne ferai aucune bassesse pour les avoir, au contraire. D’ailleurs, tu m’as donné une trop bonne raison pour que j’insiste dans tous les cas. Cher petit homme, je suis, quoi que vous en disiez, enchantée de mon arrangementb. Ce n’est pas encore tout à fait bien mais c’est beaucoup mieux qu’avant. Et puis je me suis trop tapé sur les doigts pour n’être pas très satisfaite. Si je n’avais pas les plus vives et les plus légitimes inquiétudes sur les indiscrétions de Suzanne et si je ne voyais pas mon [illis.] très compromis dans l’avenir, je serais très contente de moi et très heureuse de ma journée. Malheureusement, je ne suis rien moins que tranquille, et Dieu sait ce que ma complicité deviendra, pour peu que Suzanne continue encore longtemps sa politique extérieure. Taisez-vous ! Vous devriez me plaindre et me secourir au lieu de rire de mon malheur et de ma servarde et de son cousin. Ah ! ça, quand donc viendrez-vous travailler ? Il me semble que vous ne vous gênez pas beaucoup aujourd’hui. Mais j’y pense, vous êtes sans doute à l’Académie ? Où que vous soyez, je vais vous y baiser et vous adorer à mort.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 255-256
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « arangement ».

Notes

[1Le Tout-Paris se rend à la première représentation du Docteur Noir au Théâtre de la Porte Saint-Martin avec Frédérick Lemaître dans le rôle d’un mulâtre. Ce mélodrame d’Anicet-Bourgeois et Philippe Dumanoir eut un grand retentissement.

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