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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 juillet [1846], samedi après-midi, 2 h. ½

Quand me feras-tu sortir, mon Victor adoré ? Quand serons-nous un peu plus de cinq minutes l’un à l’autre ? Quand aurai-je la joie de passer une journée toute entière avec toi ? Autrefois j’étendais mes désirs jusqu’au mois, maintenant je n’ose même pas les étendre jusqu’à un jour entier. L’astre de mon bonheur décline de plus en plus et bientôt il n’en restera plus rien que les souvenirs et les regrets. Tout s’assombrit autour de moi. Tout m’échappe à la fois. Pourtant je n’ai jamais eu le cœur plus plein d’affection tendre et pure. Jamais je n’ai mieux compris le prix du bonheur d’aimera et d’être aimée. Est-ce que ce ne sont pas des raisons suffisantes pour fixer et retenir le bonheur, c’est-à-dire l’amour et la vie de ceux qu’on aime ? J’ai la tête et le cœur malade. Dans ce moment-ci, il me semble que je suis la plus malheureuse des femmes et que je ne pourrai plus être heureuse jamais. Pourtant je sens combien tu es bon et dévoué, combien tu es doux et charmant, je le sens comme on sent les bienfaits d’un calmant sur une plaie vive, mais le mal n’en subsiste pas moins. Cher adoré, mon amour, mon Victor, j’ai l’âme si triste que je ne trouve que des paroles douloureuses à te dire, là où je n’en voudrais mettre que de tendres et de reconnaissantes. Pardonne-moi de sentir plus vivement que je ne le devrais ton absence. Pardonne-moi de t’aimer trop. Pardonne-moi d’être la plus triste et la plus désolée des femmes. Quand je te verrai, l’accès sera peut-être passé et je pourrai te sourire. D’ici-là, il ne faut pas m’en vouloir de sentir avec trop d’amertume et d’âpreté les chagrins de la vie. Mon Victor béni, mon adoré, je t’aime. Je baise tes pieds. Je t’adore, je te désire et je t’attends avec toute mon âme dans les yeux et tout mon cœur sur les lèvres.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 235-236
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « aimé ».

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